Marc Messier a choisi de s’attaquer à une partition théâtrale de haute voltige en incarnant le rôle-titre de la pièce Le père, présentée au Théâtre du Nouveau Monde.

Il s’était pourtant juré de ne plus monter sur scène. Après avoir sillonné le Québec avec son spectacle solo, Marc Messier trouvait que les planches étaient très usantes. Le théâtre ? Très exigeant physiquement et mentalement. Et puis, après 3322 représentations de Broue étalées sur 38 longues années, il considérait sans doute qu’un peu de repos était mérité.

C’est pourquoi lorsque Emmanuel Reichenbach, d’Encore Spectacle, lui a offert sur un plateau d’argent le rôle d’André, cet homme vieillissant dont la mémoire se met à défaillir, Marc Messier a carrément refusé.

« Il m’a dit de lire le texte de Florian Zeller avant de me faire une idée. Je l’ai lu deux fois et, chaque fois, j’ai été ému. C’était trop bon. J’ai pris ça pour un signe ! André est un être démuni, comme tous ceux qui ont cette maladie [l’alzheimer]. C’est un rôle à côté duquel je ne pouvais pas passer. Et je ne regrette pas ma décision. »

Ce perfectionniste maniaque de la préparation avait toutefois une exigence non négociable à mettre au contrat : il devait avoir le texte en main un an avant la première pour pouvoir se l’approprier.

PHOTO JF HAMELIN, FOURNIE PAR LE RIDEAU VERT

Marc Messier (assis) et Éric Bruneau dans La mort d’un commis voyageur, sur la scène du Rideau Vert

Depuis le mois de juin, je travaille ce texte avec une répétitrice. C’est la meilleure décision de ma vie. Lorsque j’ai joué La mort d’un commis voyageur au Rideau Vert, je suis arrivé à la première sur la fesse, si je puis dire. J’étais vraiment sur les nerfs et je me suis juré que ça n’arriverait pas deux fois !

Marc Messier

De fait, il était à ce point préparé pour Le père que lors de la première lecture de groupe, il a fait semblant de lire son texte pour ne pas intimider qui que ce soit. « Mais Marc m’a dit qu’il connaissait déjà ses répliques par cœur ! », lance Éric Bruneau.

Un exploit quand on sait à quel point ce texte est très, très compliqué à mater. La metteure en scène Édith Patenaude explique : « C’est un texte rempli de microrépliques. En plus, comme le personnage est confus, il y a beaucoup de ruptures de ton. C’est un texte acrobatique où le cerveau a besoin de toute sa plasticité... Ce serait un challenge même pour un acteur de 24 ans ! »

La force du texte (et le talent qu’il a mis à l’interpréter) explique sans doute pourquoi Anthony Hopkins a reçu l’Oscar du meilleur acteur en 2021 pour son interprétation du rôle au grand écran. Florian Zeller, qui signe le texte de la pièce de théâtre originale, a aussi réalisé le long métrage.

Marc Messier a-t-il peur de souffrir de la comparaison chez ceux qui ont vu le film et qui viendront voir la pièce au TNM ? Pas une miette. « Le théâtre et le cinéma sont deux médiums différents. L’approche n’est pas la même. Un rôle est toujours plus difficile à porter au théâtre, je trouve, car on n’a pas droit de se reprendre ! Mais comme le dit si bien Édith [Patenaude], la pièce n’est pas un remake du film. »

Il ajoute : « Ce projet m’a permis de découvrir des gens très agréables, qui sont très gentils et généreux avec les vieux comme moi ! Édith Patenaude est une femme charmante qui obtient tout ce qu’elle veut dans la douceur. Je lui fais totalement confiance. Je suis un gars d’équipe. Et c’est le plaisir de travailler en équipe qui me tient dans ce métier. » Pour Le père, il est entouré sur scène par Adrien Bletton, Sofia Blondin, Fayolle Jean Jr, Noémie O’Farrell et Catherine Trudeau.

Un insatiable appétit de jouer

Avec ses succès à la télé (pensez seulement à Lance et compte ou La petite vie), au cinéma (il a joué pour André Forcier, Patrice Sauvé et, plus récemment, Anik Jean) et au théâtre (avec la comédie à sketchs Broue en tête), le curriculum vitae de Marc Messier donnait déjà le tournis. Mais cet acteur toujours curieux semble être doté d’un appétit du métier difficile à combler.

Avant même l’ultime représentation de Broue, le 22 avril 2017 à Sherbrooke, Marc Messier avait déjà en tête des plans nouveaux qui lui donnaient des ailes. « J’avais deux rêves à ce moment-là. Je voulais jouer au théâtre dans un rôle dramatique et écrire un spectacle solo. J’ai joué dans La mort d’un commis voyageur au Rideau Vert et j’ai écrit mon premier solo pendant la pandémie. »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Marc Messier a présenté un spectacle solo intitulé Seul… sur scène.

Aujourd’hui, l’aventure du solo Seul... en scène est terminée. Et il y a ce projet théâtral du Père qui l’occupe depuis plusieurs mois. C’est bien suffisant pour Marc Messier. « Me lever le matin et n’avoir rien à faire, j’adore ça. J’aime faire du vélo, jouer au tennis, écouter de la musique, lire... »

Il faut dire que ce père de famille n’est pas encore entièrement libre de son temps. Il a la garde partagée de son fils de 20 ans et de sa fille de 16 ans. Il est aussi le père d’une fille née d’une première union, qui est aujourd’hui professeure de biologie à l’université.

S’il parle peu de ses enfants, ce n’est pas tant par pudeur, mais pour les protéger d’un star-system qu’ils n’ont pas choisi. « Ils n’aiment pas être mis à l’avant-plan. Ce n’est pas leur travail, c’est le mien. »

Il admet aussi que le vedettariat apporte quelques sources d’irritation. « Lorsque tu te sépares après 20 ans et que tout le monde est au courant, ça ajoute une pression supplémentaire, mettons... »

Mais il est chaleureux et souriant lorsque des inconnus le saluent en pleine séance photo dans le restaurant La Croissanterie Figaro, bondé à l’heure du midi. De toute évidence, cet homme n’a pas l’ego démesuré que son impressionnant parcours pourrait expliquer.

Catherine Trudeau, qui interprète sa fille dans la pièce Le père, peut en témoigner.

Je suis de la génération de Lance et compte et j’avoue qu’au début, j’étais impressionnée de savoir que j’allais jouer avec Marc [Messier]. Mais j’ai vite découvert que c’est un homme charmant, très généreux. Et très ouvert.

Catherine Trudeau

De fait, tous ceux qui nous ont parlé de Marc Messier ont vanté l’audace de cet acteur caméléon capable d’exceller dans le drame comme dans la comédie. Le principal intéressé explique : « L’un fait pleurer, l’autre fait rire, mais au fond, c’est la même chose. Tout est question de rythme. Il faut trouver le rythme de la vie pour que ce soit crédible. »

A-t-il déjà vécu un revers dans sa carrière ? « J’ai longtemps voulu jouer un détective au cinéma. Il y a plusieurs années de cela, j’ai même acheté les droits sur un livre, Excellence poulet, de Patrice Lessard. Mais au cinéma, tout est trop long. Le projet n’a pas eu de suite. Et aujourd’hui, on ne voit que ça, des détectives, à l’écran ! »

Une passion née au collège classique

De projet en projet, de grand rôle en rôle plus grand encore, Marc Messier est devenu une figure incontournable de la scène culturelle québécoise.

Pourtant, rien ne destinait Marc Messier à une carrière artistique. Ayant grandi à un coin de rue d’une patinoire à Granby, ce fils de barbier a passé une enfance plutôt sportive : hockey et natation occupaient ses journées. Et il était loin d’être mauvais : il a déjà reçu une invitation du club junior du Canadien pour un camp d’entraînement ! C’est un enseignant d’anglais au Collège de Granby qui a servi de bougie d’allumage en demandant à l’élève de 15 ans de présenter devant la classe le monologue du père dans Hamlet, de Shakespeare.

« J’ai vraiment pogné quelque chose ! À partir de ce moment-là, le théâtre est devenu une obsession. »

Désireux de quitter Granby pour Montréal, il s’est inscrit en lettres à l’Université de Montréal, mais l’amour du théâtre va forcer un retour vers la Rive-Sud. Pour deux ans. En effet, il fera partie des premiers élèves à étudier à l’Option théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe à la fin des années 1960. 

S’il a rencontré ses premiers mentors – Jacques Zouvi, Jacques Létourneau – entre les murs du cégep, c’est entre les murs d’un bar qu’il fera la rencontre la plus déterminante de sa carrière : celle de deux gars d’Alma nommés Michel Côté et Marcel Gauthier.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

La pièce de théâtre Broue, dans les années 1980. De gauche à droite : Marc Messier, Marcel Gauthier et Michel Côté

La chimie est tout de suite passée avec Michel [Côté]. On était deux ambitieux qui ne prenaient pas un non pour réponse. On voulait que les choses arrivent.

Marc Messier

Et elles sont arrivées sous la forme d’une pièce à sketchs présentée à ses débuts dans une salle de 60 places boulevard Saint-Laurent, le Théâtre des Voyagements... « Faire Broue a été une expérience magique. On pouvait faire le métier qu’on aimait devant des salles pleines. Lorsque la pièce est devenue un succès commercial, il y a eu un peu de snobisme du milieu, mais on n’avait aucun problème avec ça, Michel, Marcel et moi. On voulait devenir des acteurs populaires, dans le sens noble du terme. Et on a pu gagner notre vie ! Mais on n’a jamais rien tenu pour acquis. On doutait toujours un peu. La comédie est quelque chose de fragile. Tu sautes une virgule et c’est moins drôle ! »

Aujourd’hui, il avoue que la mort de Michel Côté a laissé un grand vide dans sa vie. « J’ai encore de la misère à le réaliser. Il est parti trop vite. On était vraiment très proches. J’ai beaucoup de souvenirs de complicité sur scène avec lui... »

Grâce à Broue, Marc Messier a rapidement eu le luxe de dire non aux projets qui ne l’emballaient pas. Et c’est encore plus vrai aujourd’hui. « Je dis oui uniquement à ce qui m’intéresse. Je ne veux pas me répéter ! Je veux aussi vieillir en santé, de façon élégante et agréable. J’ai envie de voyager, de prendre du bon temps... » Et la retraite ? « C’est difficile de prendre une décision définitive dans ce métier. Mais si je prends ma retraite, je ne ferai pas une grande déclaration dans les journaux. Tout le monde s’en foutrait ! »

Et à ceux qui voudraient le voir un jour publier son autobiographie, remplie d’anecdotes de tournage, il dit ceci : « J’aime bien mieux jouer ma bio que de l’écrire. J’ai l’impression que c’est plus intéressant pour tout le monde... »

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Le père

Le père

Pièce de Florian Zeller mise en scène par Édith Patenaude. Avec Marc Messier, Adrien Bletton, Sofia Blondin, Fayolle Jean Jr, Noémie O’Farrell et Catherine Trudeau.

Théâtre de Nouveau Monde, Du 19 mars au 13 avril