La mouette est une tragédie comique qu’il faut aborder avec sagesse et dérision, fougue et conviction. Ce que la metteure en scène Catherine Vidal fait avec brio dans cette production brillante, intelligente… et follement amusante. Le spectacle, porté par une magnifique distribution, est notre coup de cœur de la saison !

Il souffle un grand vent de fraîcheur au Prospero ! La nouvelle production de La mouette, chef-d’œuvre de Tchekhov, mise en scène par Catherine Vidal, est pleine de trouvailles, de digressions et de clins d’œil à notre fatigue sociale et culturelle actuelle.

Avec l’adaptation de Guillaume Corbeil, Vidal nous transporte de la Russie du XIXsiècle au Québec d’aujourd’hui. Avec humour et acuité. Medvedenko (Simon Bullé-Bullman, très comique), professeur au primaire, niais et pingre, nous parle de ses REER. Irina répond à un questionnaire du magazine Clin d’œil. Son fils Constantin s’exclame, en voyant ses proches déplier des chaises pour assister à la représentation en plein air de sa pièce : « Voyons, les transats... On n’est pas au FestiBlues ! »

Dès l’entrée dans la salle, le spectateur est invité à monter sur la scène. Les acteurs nous y attendent dans un bain de confettis et de serpentins. Ils ont préparé une fête foraine, et servent maïs soufflé et barbe à papa. Rarement une production a brisé le quatrième mur avec autant d’éclat et de bonheur !

PHOTO MAXIM PARÉ FORTIN, FOURNIE PAR LE PROSPERO

Dès l’entrée dans la salle, le spectateur est invité à monter sur la scène.

Puis, place au théâtre ! Les interprètes nous invitent à regagner nos sièges. Pour mieux plonger dans le désœuvrement et le malheur de leurs personnages. Mais aussi leur côté frivole : Dorn et Trigorine exécutent un numéro de comédie musicale, très La La Land, en chantant L’amour, de Mouloudji !

Voilà qu’entre Macha (Olivia Palacci), éternelle malheureuse qui porte le deuil de sa vie ; suivie de la jeune et belle Nina (Madeleine Sarr), la rêveuse qui souhaite devenir une aussi grande actrice qu’Arkadina (Macha Limonchik, née pour jouer Tchekhov), mais dont l’existence sera détruite par Trigorine (Renaud Lacelle-Bourdon). Comme cette mouette qu’il a chassée...

Amour-haine

Œuvre phare du répertoire théâtral russe, avec Oncle Vania et La cerisaie, La mouette est une pièce sur la jeunesse et les illusions perdues. L’amour impossible entre Nina et Constantin, au centre de l’histoire, est le reflet de nos rêves qui s’évanouissent avec le temps. « Les gens ne vont pas bien, l’amour les rend fous », dit un personnage dans la nouvelle mouture de la pièce.

Catherine Vidal a eu l’excellente idée de confier la mise en scène de l’œuvre « moderne » de Treplev, au milieu de l’acte I, à Sophie El-Assaad. On n’est plus juste devant du théâtre dans le théâtre, mais carrément dans un autre univers, futuriste et dystopique. Scène brusquement interrompue par Arkadina, qui n’a jamais cru au talent de son fils, poète maudit.

PHOTO MAXIM PARÉ FORTIN, FOURNIE PAR LE PROSPERO

Macha Limonchik et Mattis Savard-Verhoeven dans La mouette

Ce dernier est joué avec brio par Mattis Savard-Verhoeven, le plus juste Treplev que j’ai vu en 40 ans ! Le comédien traîne son spleen dans ses vêtements usés, tel un Claude Gauvreau des steppes. Brûlant de désir pour Nina, mais incapable de se défaire du syndrome de l’imposteur, nourri par sa relation malsaine avec sa mère. Leur scène d’amour-haine lorsqu’ils se disputent est extraordinaire !

En fait, toute la distribution est superbe dans ce spectacle exaltant et brillant, hélas déjà complet ou presque. Surveillons les supplémentaires – on peut s’inscrire sur une liste d’attente du Prospero.

La production sera aussi à l’affiche à Ottawa, du 11 au 13 avril, présentée par le Théâtre français du CNA.

Consultez la page de la pièce
La mouette

La mouette

De Tchekhov
Mise en scène : Catherine Vidal

Au Prospero

8,5/10