Une odeur de sang, de sueur et de peur. C’est ce qui émane de la scène du Théâtre Duceppe où se déroule ces jours-ci un jeu cruel : celui de la course aux stages des étudiants en droit telle que racontée par Jean-Philippe Baril Guérard dans Royal.

Adaptée du roman du même nom, la pièce nous plonge dans l’univers féroce des étudiants en droit de l’Université de Montréal, chez ceux qui rêvent de décrocher un stage – puis un poste – dans les grands cabinets de droit des affaires. Ici, les idéaux n’ont pas leur place et la moindre démonstration de faiblesse est considérée comme une tare. Nous sommes dans un monde où la valeur d’un individu se mesure d’abord à l’aune de sa moyenne scolaire puis de son salaire annuel.

Or, pour accéder à ce prestigieux cénacle, Arnaud, Mike, Chloé, Rosalie et les autres sont prêts à tout. Leur soif de réussite est sans limites. Les couteaux volent bas dans la section A des étudiants en droit, celle où une autoproclamée « élite de la société » se trouve rassemblée. Intimidation et agressions (perpétrées comme subies) sont le lot quotidien de ces étudiants à qui on a répété depuis l’enfance qu’ils étaient les meilleurs.

Pour raconter cette ascension vers les sommets qui tient davantage du marathon dans une fosse aux lions, le metteur en scène Jean-Simon Traversy a ouvert les portes de ses salles de répétition à la chorégraphe Virginie Brunelle. Richissime idée que celle-là.

Ensemble, les deux ont imaginé un spectacle très physique, où le mouvement vient appuyer les mots et où les deux langages se juxtaposent à merveille. Ainsi, la partition est habilement chorégraphiée sans jamais tomber dans l’excès. Tantôt les corps s’attirent et se repoussent, tantôt les acteurs dansent avec une caméra qui nous renvoie leur image en gros plan.

La mise en scène foisonnante et dynamique est sans conteste à souligner ici. Les créateurs ont préféré le symbolisme au réalisme, imaginant des scènes sous forme de tableaux qui restent longtemps en tête et qu’on croirait sortis des pinceaux d’un peintre tourmenté.

De jeunes loups

PHOTO DANNY TAILLON, FOURNIE PAR DUCEPPE

La mise en scène marie habilement la danse et le théâtre.

Pour incarner ces jeunes loups, le duo Traversy-Brunelle a fait appel à 10 interprètes fraîchement sortis des écoles de théâtre. Tous sont excellents pour manier les répliques cinglantes de Jean-Philippe Baril Guérard. Certains se démarquent particulièrement : Irdens Exantus, dans le rôle de Mike-le-douchebag, Valérie Tellos dans celui de l’idéaliste aux dents longues, Romy Bouchard qui incarne la fille des régions qui aurait voulu naître ailleurs et Vincent Paquette qui joue le personnage principal d’Arnaud, Outremontais biberonné aux idées de grandeur.

S’il faut trouver un bémol à cette production grinçante et terrifiante à la fois, c’est peut-être dans l’adaptation du texte romanesque à la scène. On passe ici très vite d’une scène à l’autre, ce qui peut laisser pantois. On peine à croire à l’histoire d’amour – pourtant centrale – entre Arnaud et sa copine Aurélie, médecin en devenir. On passe à la vitesse grand V de la soirée d’initiation au couronnement de ceux ou celles (nous ne dévoilerons rien ici) qui réussiront à obtenir les places de stage tant convoitées. Dans cette course haletante, quelques pauses auraient été bénéfiques pour nous permettre de mieux entrer dans les failles de chacun et chacune.

Cela étant dit, Royal reste un spectacle fort réussi, tant par la forme que par le propos. Et quand les lumières s’éteignent sur une scène transformée en charnier par l’ambition démesurée des personnages, on s’interroge : jusqu’où faut-il descendre pour atteindre le sommet ?

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Royal

Royal

Texte de Jean-Philippe Baril Guérard, dans une mise en scène de Virginie Brunelle et de Jean-Simon Traversy. Avec une distribution de 10 interprètes

Théâtre Duceppe, Jusqu’au 11 mai

7,5/10