Après moult relectures et films inspirés de ses tourments, tout a été dit sur Hamlet, pouvait-on croire. Le dramaturge Olivier Kemeid prouve que non avec une puissante tragédie sur laquelle plane l’ombre du héros shakespearien.

Intitulée La vengeance et l’oubli, cette pièce présentée sur les planches du Quat’Sous est librement inspirée de l’œuvre mythique du barde de Stratford-upon-Avon. Ici, Hamlet n’est pas un prince danois, mais un finissant en théâtre qui assiste impuissant à la mort lente de son père, éminent professeur d’art dramatique. Autour de l’agonisant et de son fils, quelques personnages veillent. Un ami cher (Sasha Samar), une nouvelle flamme du nom d’Ophélie (Anna Romagny), un oncle aux desseins troubles (Richard Thériault) et une mère qu’Hamlet aurait souhaitée plus éplorée (Mireille Naggar).

Aucun d’eux ne sera épargné lorsque le jeune héros commencera à douter. Son père est-il mort naturellement ? Quelqu’un a-t-il précipité l’inéluctable ? Et si oui, qui a osé ? Troublé par le spectre du père qui lui apparaît et lui met des chimères en tête, Hamlet finira par sombrer doucement, sourd aux mots (et aux maux) de ceux qui l’entourent.

Olivier Kemeid, qui signe aussi la mise en scène, offre ici un portrait douloureux d’une relation père-fils qui se perd dans un voile de mensonges. Le texte finement ciselé (à l’image du décor de Romain Fabre) happe le spectateur dès les premières répliques et le mène dans les méandres d’un cerveau malade où il n’est pas toujours aisé de départager le vrai du faux.

Le texte touche aussi à l’universel en sondant la notion d’héritage. Que garde-t-on de ce que nous lèguent nos parents ? Jusqu’où faut-il aller pour honorer la mémoire de ceux qui nous ont précédés ? Quand certains souvenirs sont parfois lourds à porter, ne vaut-il pas mieux s’en débarrasser ?

Une interprétation magistrale

Dans le rôle d’Hamlet, Gabriel Lemire offre une performance à couper le souffle. Il nous avait déjà éblouis en interprétant le jeune Jean Paul Riopelle dans Projet Riopelle, de Robert Lepage. Il est ici magnétique.

PHOTO FRÉDÉRIQUE MÉNARD-AUBIN, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DE QUAT’SOUS

Gabriel Lemire est magnétique dans le rôle principal.

Tantôt attendrissant, tantôt effrayant de cruauté, Gabriel Lemire est de toutes les scènes et livre sa partition avec une intensité qui force l’admiration.

De fait, le soir de la première, tous les interprètes ont brillé, malgré quelques moments de nervosité.

Mireille Naggar est aussi très émouvante dans le rôle de la mère qui refuse d’être rongée par les remords et qui choisit la vie plutôt que le deuil. Anna Romagny campe quant à elle une Ophélie éprise de liberté. Dans l’Hamlet d’Olivier Kemeid, les femmes sont des figures fortes qui assument leurs choix sans jamais chercher à se justifier.

À la conception, il faut souligner la beauté des éclairages de Martin Labrecque qui ajoute à l’ambiance anxiogène de certaines scènes. Sous sa gouverne, la petite scène du Quat’Sous se transforme en bar, en loge de théâtre ou en salle familiale, le tout avec une grande économie d’accessoires. La musique atmosphérique de Philippe Brault enveloppe aussi le récit de belle manière.

Bref, c’est un petit bijou tragique qu’Olivier Kemeid nous propose pour son chant du cygne à titre de directeur artistique du Théâtre de Quat’Sous. On imagine mal comment il aurait pu mieux réussir sa sortie.

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La vengeance et l’oubli

La vengeance et l’oubli

Texte et mise en scène d’Olivier Kemeid. Avec Gabriel Lemire, Mireille Naggar, Anna Romagny, Sash Samar et Richard Thériault.

Théâtre de Quat'sous, Jusqu’au 11 mai

8/10