La Presse : Dans Royal, on montre les facultés de droit à l’université comme un milieu hautement compétitif. Un monde hanté par la performance, les notes, l’argent, la réussite sociale, etc. Y a-t-il des parallèles à faire entre la réalité de ces étudiants et la vôtre, celle des finissants en jeu ?
Florence Deschênes : On évolue aussi dans un milieu très compétitif. On doit sans cesse prouver sa valeur aux autres ; passer des auditions pour décrocher des rôles. On vit aussi avec le stress de la performance, la peur de l’échec, le rêve de gloire... J’ai déjà rêvé que je recevais un prix aux Oscars !
Irdens Exantus : En deuxième année à l’École [nationale de théâtre], un professeur a demandé à ma classe pourquoi on veut faire ce métier. J’ai répondu : « Parce que je veux devenir le meilleur acteur de ma génération ! [rires] » Avec ironie. Mais j’avais déjà l’ambition de devenir la meilleure version de moi-même.
Florence : C’est différent de nos personnages, Irdens. On est ambitieux par rapport à nous-mêmes. Alors que l’ambition des personnages de Royal tient de l’obsession. Dans ma vie, je ne veux pas réussir pour écraser les autres. Si je me mets de l’avant, c’est pour me dépasser, moi. En lisant le roman, j’avais une relation d’amour-haine avec son narrateur. J’aimais le haïr, car je trouvais ses motivations ignobles.
En effet, Arnaud (le personnage principal de la pièce) est assez monstrueux. Il a quelque chose de shakespearien. Comme Richard III, il ne recule devant rien pour éliminer tout ce qui est sur son passage…
Vincent Paquette : Mon personnage [Arnaud] pense juste au résultat ; jamais au processus. On se demande si le droit l’intéresse vraiment. À 20 ans, il veut être avocat pour travailler dans un grand cabinet, faire partie de l’élite et gagner 120 000 $ par année en sortant de l’université.
Arnaud veut montrer qu’il est le meilleur, le roi au sommet de la montagne. Or, il va se rendre compte, en recevant de mauvaises notes, que « grandir sur le mont Royal, ça te garantit pas le succès à tout coup ».
Irdens : Dans la pièce, je dis qu’Arnaud tombe dès qu’il a « un petit vent d’en face ». Comme Florence, j’ai adoré le détester à la lecture du livre. Sans doute parce que son désir d’être au-dessus des autres reflète quelque chose de ma génération que je n’aime pas... Sur une classe de jeunes privilégiés qui, au premier revers, trouvent que leur vie n’a plus de sens.
Arnaud est dégoûté par la médiocrité. Pourquoi cette peur maladive de l’échec ? Dans la vie, les défaites nous font aussi grandir.
Florence : Oui, mais pour revenir aux acteurs, on fait un métier public. Nos échecs, nos mauvaises performances sont vus par tout le monde. Le regard des autres est très important. Ça peut expliquer cette phobie.
Aline Winant : De plus, on a choisi un métier avec une grande précarité. Moi, je me suis reconnue [malheureusement] dans la quête d’Arnaud. Dans son système de pensées performant, dans la sévérité avec laquelle il se parle. Je sens une tension entre mes valeurs d’artiste engagée et le besoin de gagner ma vie. Parce que notre avenir est incertain.
Florence : Les acteurs savourent difficilement le moment présent. Après un succès, ils sont déjà dans le prochain rôle, le prochain spectacle. Chaque fois qu’on n’est pas choisi dans un projet, notre monde s’écroule. Ça peut paraître banal pour les autres, mais pas pour un interprète en début de carrière.
Vincent : On fait partie d’une génération [les Z] qui est beaucoup en représentation. Avec les réseaux sociaux, c’est facile de se comparer, de se sentir inférieur. Sur Instagram, on montre uniquement nos plus beaux voyages, nos plus belles images. On ne fait pas la promotion de ses échecs sur Instagram. On a seulement accès aux réalités fictives de nos vies.
Le processus de sélection pour jouer dans Royal fait un peu penser à la course au stage des grands cabinets d’avocats. Duceppe vous a retenus parmi 281 candidats ! Dans un prologue, l’auteur écrit que vous êtes censés être « la crème de la crème » des interprètes formés au Québec dans les dernières années. C’est stressant ?
Tous : On va créer la pièce dans quelques jours, et on sent beaucoup de pression. Depuis un an et demi, tous les gens du milieu qu’on croise nous demandent : et puis, comment ça va, Royal ? On vit la plus grande expérience théâtrale de notre jeune carrière. Est-ce qu’on sera capables de répondre aux attentes ?
Les 271 personnes qui n’ont pas été choisies par la production vont sans doute aller vous voir avec la même question en tête…
Florence : Alors que fait-on avec cette pression ? On la laisse nous avaler... ou bien on se félicite et on plonge. En se disant qu’on est les meilleurs et qu’on mérite d’être là.
Royal, chez Duceppe, du 10 avril au 11 mai. Les propos ont été abrégés et condensés à des fins de concision.
Consultez la page de la pièce