Il est sale, puant et porte tous les oripeaux de la déchéance. Mais son charisme, lui, n’a pas pâli… Vernon Subutex vient de nouveau hanter la scène de l’Usine C dans la pièce qui porte son nom, traînant dans son sillage une flopée de marginaux et d’éclopés.

La metteure en scène Angela Konrad a frappé un grand coup en 2022 avec son adaptation scénique foisonnante du premier roman de la trilogie signée par Virginie Despentes. Elle récidive en s’attaquant aux tomes 2 et 3, avec à ses côtés la même distribution tout étoile du premier opus.

Ainsi, David Boutin reprend les habits élimés de Vernon Subutex, disquaire déchu que de vilains coups du sort (et la dématérialisation de la musique) ont envoyé à la rue. Sans le sou, il reprend contact avec de vieux amis, chez qui il va trouver un sofa où dormir, un lit où baiser ou encore une ligne de coke à sniffer. Son destin, pourtant, est bien plus grand.

Trouver la liberté

« La vie de Vernon va changer, explique David Boutin. Il va toucher le fond du baril, mais au plus bas, il va trouver une forme de liberté. Autour de lui et de la musique, une communauté va se former. » Ensemble, ces marginaux de la société vont créer des rassemblements musicaux qu’ils appelleront convergences et où la musique les mettra dans un état de transe.

« Vernon est un aimant ; tout le monde est attiré par lui », ajoute Anne-Marie Cadieux, qui interprète notamment Sylvie, une des maîtresses du disquaire.

L’actrice l’avoue : elle adore jouer ce personnage complètement névrosé – et inoubliable pour tous ceux qui ont vu (et qui verront) la première partie de la trilogie. De fait, faire partie de ce vaste projet la ravit. « J’aime beaucoup le féminisme subversif très assumé de Virginie Despentes. C’est rare de porter une parole contemporaine comme celle-là. En plus, c’est un projet vertigineux, un peu casse-gueule. J’aime ça. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Anne-Marie Cadieux interprète Sylvie, personnage névrosé au possible.

J’aime bien jouer des personnages de femmes excessives, en manque de contrôle, comme Sylvie. Avec elle, on a une impression de bouchon de champagne qui se dévisse !

Anne-Marie Cadieux

David Boutin a aussi développé une grande affection pour Vernon, dont la solitude le touche. « À la lecture des romans, je suis tombé amoureux de ce personnage. Ce gars en perte de repères… je m’imaginais l’inviter à venir crasher dans mon salon pour discuter. Je l’amenais chez moi le soir pour faire connaissance. J’ai un plaisir à me laisser voguer avec lui, car Vernon n’est pas un gars qui prend des décisions ! J’aime ce que cette histoire charrie, ce qu’elle dénonce. J’aime aussi beaucoup la richesse des personnages. »

« Dans Vernon Subutex, tout est politique, estime Anne-Marie Cadieux. Virgine Despentes critique le néo-libéralisme et traite de sujets comme le racisme, le sexisme, la transidentité. En fait, c’est très intéressant que le spectacle sorte maintenant quand on voit tout ce qui se passe en France avec la vague #metoo dans le milieu du cinéma. Virginie Despentes décrivait déjà ce milieu comme étant misogyne dans ses romans [sortis entre 2015 et 2017]. En plus, le dernier tome est sorti après les attaques de Charlie Hebdo et du Bataclan. Ces évènements qui ont transformé la France ponctuent inévitablement l’histoire. »

Aura rock

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Vernon Subutex baigne dans une ambiance résolument rock.

Ce côté politisé n’empêche toutefois pas une énergie très sexe, drogue et rock’n’roll de souffler sur l’ensemble du spectacle. « Vernon Subutex est une pièce qui déménage, lance Anne-Marie Cadieux. C’est une tonne de briques où la musique est omniprésente au point de devenir un personnage en soi. »

« Angela est une metteure en scène qui aime l’énergie brute et un peu croche, croit David Boutin. Elle ne veut pas d’un show trop verni. Son approche n’est pas léchée. Elle est punk. »

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Dans les parties 2 et 3 de Vernon Subutex, le personnage principal devient une sorte de prophète qui va attirer autour de lui toute une communauté.

Cette énergie punk, bien palpable dans la première partie de la trilogie, a été conservée pour les deux autres parties, expliquent les deux interprètes. Une excellente nouvelle, si on considère que le premier volet a séduit les membres de l’Association québécoise des critiques de théâtre, qui ont remis à Angela Konrad le Prix de la meilleure mise en scène montréalaise pour la saison 2021-2022.

Mises bout à bout, les trois parties de Vernon Subutex formeront un spectacle d’une durée de sept heures (en incluant deux entractes.) L’Usine C propose aussi aux spectateurs d’assister uniquement à la première partie ou de voir les parties 2 et 3 rassemblées.

Chose certaine, selon Anne-Marie Cadieux, il faut avoir vu le spectacle initial pour voir les parties 2 et 3. « On arrive au milieu d’une intrigue qui sera incompréhensible pour ceux qui n’auraient pas vu la partie 1. »

La version intégrale du spectacle est présentée les 4, 11 et 18 mai. La partie 1 est présentée le 30 avril ainsi que les 2, 7, 9, 14 et 16 mai. Quant au spectacle Vernon Subutex 2+3, les dates sont les 1er, 3, 8 10, 15 et 17 mai.

Consultez le site de l’Usine C

Qui est Virginie Despentes ?

L’écrivaine et réalisatrice française Virgine Despentes a signé une dizaine de romans, dont Les jolies choses, Apocalypse bébé et la trilogie Vernon Subutex. Cette dernière a été adaptée en bande dessinée, en série télévisée et au théâtre. Pour le cinéma, elle a coréalisé l’adaptation de son tout premier roman, Baise-moi, et agi à titre de réalisatrice pour le long métrage tiré de son livre Bye bye Blondie. Elle a aussi été membre de l’académie Goncourt de 2016 à 2020.