Tant de tuiles sont tombées sur la tête des créateurs de la pièce Lysis qu’on pourrait croire à une malédiction : remplacement de l’actrice principale trois mois et des poussières avant la première, deux reports en raison de la pandémie, moult changements à la distribution… Mais après quatre ans d’une attente déchirante, ce spectacle d’envergure s’apprête à rencontrer son public au Théâtre du Nouveau Monde. Enfin.

Lorraine Pintal l’avoue : il y a eu un moment où la metteure en scène s’est demandé s’il valait la peine de poursuivre l’aventure de Lysis. Après tout, la pandémie a forcé l’annulation définitive de nombreux spectacles. Pourquoi s’entêter, alors que le mauvais sort s’acharnait sur cette production quasi titanesque avec ses 17 interprètes et musiciennes sur scène ?

« J’ai eu besoin de parler aux deux autrices, Fanny Britt et Alexia Bürger. J’ai voulu savoir si le propos restait aussi pertinent qu’en 2018, lorsqu’elles ont commencé à travailler sur le projet. J’avais aussi besoin d’avoir la confirmation que celle qui incarne Lysis, Bénédicte Décary, n’allait pas quitter le navire. Elle nourrit vraiment le rôle-titre, c’est une rassembleuse… Ce rôle, elle le porte à bout de bras. »

Une fois rassurée sur ces deux aspects, Lorraine Pintal a retroussé ses manches, remplacé les cinq (!) interprètes qui ont dû déserter le projet pour des raisons X ou Y et ressorti le texte de son tiroir. Parce que présenter cette pièce est nécessaire, continue de croire la femme de théâtre.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Bénédicte Décary en compagnie de la metteure en scène Lorraine Pintal

Cette pièce est encore trop criante d’actualité. Ça parle de la violence faite aux corps des femmes et de l’abus de pouvoir qui est dans l’ADN du boys club, mais c’est aussi une pièce sur le pouvoir féminin, la sororité. Dans Lysis, les femmes veulent être reconnues et accéder à des postes où elles peuvent penser changer le monde. Surtout, cette pièce est porteuse d’espoir et va provoquer des discussions enrichissantes.

Lorraine Pintal, metteure en scène de Lysis

La pièce met en scène une cellule de militantes féministes qui aspirent à un monde plus égalitaire. Menées par Lysis (Bénédicte Décary), ces militantes ont pris pour cible l’entreprise pharmaceutique Forest, dirigée par Victor Forest (interprété par Jacques L’Heureux). Cet homme sans morale est prêt à tout pour s’enrichir. Y compris à mettre en danger la santé mentale des femmes qu’il est censé aider avec les médicaments qu’il commercialise.

Pour que le masculin cesse de l’emporter sur le féminin dans une société qui craque de tous les côtés, ces femmes sont prêtes au plus grand sacrifice : celui d’arrêter de donner la vie. Car à quoi bon enfanter dans cette société malade où les unes ne naissent pas avec les mêmes chances que les autres ?

« Lysis n’est pas qu’une pièce féministe, estime Bénédicte Décary. C’est une histoire mythologique à la David contre Goliath. On y parle de lutte contre la corruption d’une élite assoiffée de profit. Les femmes mènent ce combat, mais il est ici question de l’évolution et des avancées possibles pour tous les êtres humains. On est vraiment dans l’espoir de la transmission aux générations futures. La pièce va toucher au cœur tous ceux qui font face à l’adversité. Elle nous invite aussi à agir dans nos cercles respectifs. »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Bénédicte Décary en janvier 2022, à la veille d’un (autre) report des représentations de Lysis en raison de la pandémie

Il y a aussi une vraie belle histoire d’amour au centre de Lysis. Une histoire entre deux êtres égaux qui s’aident et s’épaulent. C’est très fort et très moderne.

Bénédicte Décary, interprète de Lysis

Électrisant retour à la création

Les deux femmes le disent sans hésiter : elles ont vécu qui une peine d’amour, qui un deuil lorsque la pandémie a forcé le report des représentations en janvier 2022. C’était la deuxième fois que les ailes de la production étaient coupées en plein vol et cette fois, l’équipe n’était qu’à quelques jours de la première.

Le coup a été dur à encaisser. Mais il n’aura pas été vain, jurent Lorraine Pintal et Bénédicte Décary.

« Toute cette attente a permis une compréhension profonde de l’œuvre, dit la metteure en scène. C’est étonnant tout ce qu’on découvre encore sur cette pièce. La ligne du personnage est devenue tellement claire. Les enjeux des militantes ont aussi pu être précisés. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Lorraine Pintal lors des répétitions de Lysis en février 2020

En fait, on a eu droit à deux laboratoires de création complets pour ce spectacle. C’est un luxe qu’il faudrait s’offrir plus souvent.

Lorraine Pintal, metteure en scène de Lysis

« Il y a une complexité, une profondeur nouvelle au texte, ajoute la comédienne. C’est très stimulant. Le projet a mûri et est prêt à trouver son public. C’est comme si cette tempête nous avait fait un cadeau, finalement. »

Depuis l’annulation de janvier 2022, le texte a peu changé, disent-elles. Un coup de peigne fin, guère plus. « On a un très bon texte entre les mains », estime Lorraine Pintal.

La distribution a changé maintes fois depuis le début du projet, mais la metteure en scène a toujours gardé le cap en réunissant sur scène des interprètes d’âges et d’horizons divers. Ainsi, des acteurs expérimentés comme Pier Paquette, Isabelle Vincent ou Widemir Normil croisent le fer avec des plus jeunes comme Sally Sakho ou Dominick Rustam.

Pour Lorraine Pintal, la présentation de Lysis va revêtir un caractère tout particulier, et pas seulement en raison des nombreux obstacles qui se sont dressés sur sa route. En effet, la pièce sera sa toute dernière mise en scène alors qu’elle porte aussi le chapeau de directrice artistique et générale du TNM.

« C’est un grand privilège de terminer mes 32 ans à la tête du TNM avec cette pièce écrite par des femmes, qui parle du sort des femmes. J’adore le théâtre épique et cette pièce est en, sans aucun doute ! C’est un récit avec du suspense, des rebondissements. Ce spectacle est un origami qui change de forme dès qu’on change de perspective. »

Au Théâtre du Nouveau Monde du 7 mai au 1er juin

Consultez la page du spectacle

Chronologie d’une renaissance

Avril 2019

Le Théâtre du Nouveau Monde annonce qu’il fera une grande place aux femmes dans sa saison 2019-2020. Lysis, une création de Fanny Britt et d’Alexia Bürger, en fait partie.

Janvier 2020

Monia Chokri, qui devait tenir le rôle-titre, se retire du projet en raison de conflits d’horaire. Elle est remplacée par Bénédicte Décary.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Première lecture de la pièce Lysis avec Bénédicte Décary et la distribution originale

Mars 2020

Québec ordonne la fermeture des lieux publics en raison de la pandémie. Les représentations de Lysis, prévues en avril, sont reportées.

Automne 2021

Retour en salle de répétition avec une nouvelle distribution. Neuf interprètes de la distribution originale ont été remplacés.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Faute de pouvoir présenter la pièce sur scène, le TNM en fait une captation. De gauche à droite : Bénédicte Décary, Nadine Jean et Olivia Palacci.

Janvier 2022

À une semaine de la première, les représentations de Lysis sont de nouveau suspendues en raison d’une résurgence des cas de COVID-19.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Bénédicte Décary, interprète de Lysis

Mai 2024

Arrivée de la pièce sur les planches du TNM, avec, une fois de plus, une distribution remaniée.