Angela Konrad avait frappé fort en 2022 avec l’adaptation théâtrale du premier volet du triptyque littéraire Vernon Subutex, repris ces jours-ci à l’Usine C. La metteure en scène montréalaise remet ça en insufflant énergie rock, émotions vives et grincements de dents aux deuxième et troisième parties. Le tout dans une suite quasi sans bémol.

Vernon Subutex, disquaire déchu que les mauvais coups du sort ont envoyé à la rue, a repris ses habits troués pour traîner sa dégaine de rock star sur les planches. Autour de lui gravite une galerie de personnages que la vie n’a pas épargnés. Clochard, ex-vedette de la porno, scénariste sans talent ou musicien au penchant violent…

Au départ, ils seront là pour offrir à Vernon un divan à squatter ou une ligne de coke à sniffer. Mais lorsque ce dernier finira par choisir la rue – et la liberté qui vient avec –, tous reviendront trouver auprès de lui des réponses aux questions qui les hantent.

Bientôt, une communauté entière se créera autour de Subutex, improbable figure messianique dans une époque sans boussoles.

Ensemble, ils vont faire naître des rassemblements spontanés, appelés convergences, orchestrés autour de la musique d’une de leurs idoles, le défunt Alex Bleach. Mais pendant qu’ils dansent, le monde se radicalise, les balles terroristes pleuvent sur la France. Et les puissants (le masculin n’est pas ici anodin) continuent d’écrire l’histoire selon leurs propres règles (souvent au détriment des femmes, disons-le).

PHOTO VIVIEN GAUMAND, FOURNIE PAR L’USINE C

Toute la distribution du premier volet de Vernon Subutex est de retour.

Pour ce retour en force de Vernon Subutex sur scène, Angela Konrad a pu compter sur l’entièreté de la distribution originale. David Boutin reprend avec maestria ce rôle taillé sur mesure pour son allure de rockeur au cœur tendre. Malgré les cheveux sales et les dents jaunies, il est charismatique au possible dans la peau de cet homme qui flotte sur la vie comme une feuille sur l’océan.

À ses côtés, Anne-Marie Cadieux, Violette Chauveau et Dominique Quesnel sont flamboyantes. La première incarne une maîtresse complètement névrosée, offrant au public une scène de baise anthologique. La deuxième est notamment Paméla Kant, vedette du X qui rêve d’écrire un livre (pour expliquer la porno aux tout-petits !). La troisième est La Hyène, reine des réseaux sociaux capable de détruire une réputation en quelques clics. Dominique Quesnel nous tire aussi les larmes dans le rôle d’Olga, une clocharde dont le chien a été euthanasié par les forces de l’ordre.

Notons aussi les solides performances de Paul Ahmarani – scénariste raté aux idées qui puent le renfermé – et surtout de Philippe Cousineau en producteur omnipotent par qui le mal arrive.

À la mise en scène, Angela Konrad a réussi à créer des images fortes qui nous collent à la rétine longtemps.

L’une des plus belles : La Hyène qui, telle Marie-Madeleine devant le Christ, lave les pieds d’un Vernon Subutex crasseux et épuisé. Ou encore cette finale tout aussi christique, où un vinyle est sanctifié sur l’autel de la musique…

La musique occupe d’ailleurs une place prépondérante dans ce spectacle ; on y entend tour à tour Johnny Halliday et Nina Hagen, Rihanna et Sepultura. Elle est ici un personnage à part entière, au point où la production a eu le génie d’offrir la trame sonore en liste d’écoute sur Spotify. Belle idée, car on sort de ce spectacle avec mille airs en tête et une envie folle de replonger dans ces musiques punk, rock, métal ou pop si savamment choisies.

Il ne faudrait pas oublier l’impressionnante conception vidéo signée Alexandre Desjardins, qui nous mène en une fraction de seconde de la froide devanture d’un Monoprix à la douceur des nuits sur les Buttes-Chaumont. De fait, les éclairages de Cédric Delorme-Bouchard, les décors de Louis-Charles Lusignan, les costumes de Marie-Audrey Jacques et les perruques d’Angelo Barsetti offrent à cette ambitieuse production un écrin à sa mesure.

L’Usine C a choisi d’offrir trois spectacles distincts autour de Vernon Subutex. La première partie – la plus aboutie – est de retour, pour ceux qui n’auraient pas eu la chance de la voir en 2022.

Les volets 2 et 3 sont regroupés dans un seul spectacle, présenté de façon autonome. Ce dernier n’a pas atteint la maturité du premier opus. Il faut dire que, faute d’avoir obtenu le financement espéré au Conseil des arts du Canada, la production a dû faire des sacrifices sur le plan créatif, mais aussi réduire de moitié les heures de répétition. Ces choix ne sont pas sans impact et on sent parfois que le récit s’accélère indûment ou que certaines scènes auraient pu être davantage enveloppées, magnifiées par les concepteurs.

Finalement, le spectacle est présenté le samedi dans sa version intégrale de plus de sept heures (incluant les entractes). Une expérience puissante, à marquer sans conteste d’une pierre blanche dans le calendrier théâtral de la saison qui s’achève.

Consultez le site de l’Usine C
Vernon Subutex

Vernon Subutex

Texte de Virginie Despentes, adapté et mis en scène par Angela Konrad. Avec neuf interprètes, dont David Boutin, Anne-Marie Cadieux et Violette Chauveau.

Usine C, Jusqu’au 18 mai

8/10