Étrange affaire que le rire. Ce qui fait s’esclaffer les uns peut ennuyer ou franchement rebuter les autres. C’est autour de ce concept que Daniel Brière et Alexis Martin ont décidé d’articuler leur plus récent spectacle, simplement intitulé Rires, et d’y intégrer des finissants des écoles de théâtre et de l’humour. Regards intergénérationnels croisés sur ce qui est « drôle »… ou ne l’est pas.

Pour l’occasion, les deux têtes du Nouveau Théâtre Expérimental (NTE) ont décidé de piger dans le répertoire comique d’ici et d’ailleurs pour en extraire les pépites les plus brillantes. Le tandem a ensuite imaginé un collage de sketchs qui les a fait (et les fait encore) rire.

Or, ce qui amuse ces deux enfants des années 1960 est souvent empreint d’absurdité : Monthy Python, Les voisins de Meunier, Ionesco. Ils ont aussi craqué pour l’humour plus social des Cyniques ou de Clémence. L’esthétique poétique de Sol et Gobelet a aussi frappé durablement leur imaginaire.

L’exercice aurait pu s’arrêter là et les deux acteurs chevronnés auraient pu décider de porter eux-mêmes sur scène ce florilège humoristique. Or, ils ont choisi d’offrir cette occasion à sept finissants des écoles de théâtre et de l’humour. Pourquoi ? « La pandémie a privé ces jeunes du plaisir de terminer leurs études par des représentations devant public », explique Daniel Brière. Résultat : ils se sont retrouvés parachutés dans le métier sans avoir pu démontrer au milieu théâtral et à leurs proches l’étendue de leur savoir-faire.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Daniel Brière donne ses directives au groupe d’interprètes.

Dans notre ADN

Et quel meilleur antidote que le rire qui prend au ventre pour faire contrepoids à la grisaille (post)pandémique ? « Il n’y a pas tant de comédies actuellement montées au théâtre, estime Daniel Brière. Or, c’est payant pour un acteur d’être drôle. Ce n’est pas tout le monde qui a le talent de faire rire les gens. On a voulu amener des jeunes de cette génération dans notre univers pour voir ce qu’ils trouvaient drôle ou, au contraire, les choquait. »

« Nous avons tous deux été marqués par Jean-Pierre Ronfard et Robert Gravel, ajoute Alexis Martin. L’humour et l’analyse sociale étaient au cœur de leur démarche. C’est passé dans notre ADN. »

Pour perpétuer la tradition du NTE et transmettre à la génération montante ce qu’ils ont reçu, Alexis Martin et Daniel Brière ont choisi de travailler en plénière, comme leurs illustres prédécesseurs. Chaque membre de la troupe des sept peut s’exprimer sur le texte, la scénographie, la mise en scène.

  • Les metteurs en scène Daniel Brière (à gauche) et Alexis Martin

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Les metteurs en scène Daniel Brière (à gauche) et Alexis Martin

  • De gauche à droite : Simon Duchesne, Anne-Sarah Charbonneau et Laurence Laprise

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    De gauche à droite : Simon Duchesne, Anne-Sarah Charbonneau et Laurence Laprise

  • Le travail collectif sur Rires a commencé par la fabrication d’un masque par chaque interprète.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Le travail collectif sur Rires a commencé par la fabrication d’un masque par chaque interprète.

1/3
  •  
  •  
  •  

Les deux dramaturges et metteurs en scène ont ainsi soumis leur collage au regard acéré des finissants en théâtre Laurence Laprise, Fabrice Girard, Caroline Somers et Zoé Boudou. Les diplômés de l’École nationale de l’humour Anne-Sarah Charbonneau et Simon Duchesne ont aussi eu leur mot à dire, tout comme l’humoriste autodidacte Mehdi Agnaou.

Qu’ont pensé ces derniers des extraits de textes pas toujours politiquement corrects choisis par la paire Martin-Brière ? « Je suis un fils de l’absurde ; j’ai grandi avec ce répertoire », lance Simon Duchesne, humoriste de la relève qui collabore régulièrement à La journée (est encore jeune), en plus de faire partie du groupe de musique Marie Céleste.

Certaines choses sont datées dans le spectacle, et c’est à nous de prendre du recul pour jouer tout cela en respectant chaque genre.

Simon Duchesne, humoriste

Anne-Sarah Charbonneau est une humoriste de la communauté LGBTQ+ qui souhaite donner une voix à « ceux qu’on entend moins souvent ». Elle avoue ne pas avoir ri lors de la première lecture du sketch de l’Oratoire, écrit par Les Cyniques (et contenant des mots aujourd’hui socialement inacceptables).

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Anne-Sarah Charbonneau est une diplômée de la cohorte 2021 de l’École nationale de l’humour.

C’est très polarisant. Je me suis dit que ce serait un défi de rendre ça drôle ! Heureusement, dans le spectacle, chaque texte est mis en contexte par le personnage de Vernis. Ça aide à mieux comprendre…

Anne-Sarah Charbonneau

Vernis ? C’est le personnage imaginé par l’équipe pour servir de liant entre les numéros. Il est l’alter ego d’Henri Bergeron, qui animait jadis Les beaux dimanches. Vernis Bergeron est devenu ici l’animateur des Gros dimanches. « Il apporte au spectacle le côté presque anthropologique du rire », estime Alexis Martin.

Un beau cadeau

Laurence Laprise, de son côté, est ravie de voir des textes comme Les voisins trouver une place dans ce collage. « Je n’aime pas ce qui est normatif. Le vide me fait rire. Ionesco fait partie de mon ADN ! » Pas pour rien qu’elle anime une émission balado intitulée Risque de somnolence où la banalité des sujets abordés est censée aider l’endormissement…

« Je n’aurais pas aimé avoir à endosser un texte qui m’aurait rendue inconfortable, ajoute la comédienne. Mais c’est clair pour nous que ce n’est pas notre parole qui est portée... Dans Rires, je suis très émue d’interpréter un texte de Clémence. De porter sur scène la parole de cette icône. C’est un beau cadeau pour une actrice de pouvoir jouer tout ce répertoire et de me métamorphoser totalement d’un sketch à l’autre. »

La parole des sept interprètes se fera entendre, mais dans un deuxième temps. Car outre le plaisir de (re)découvrir de grands classiques de l’humour québécois, français, américain ou britannique, le grand intérêt de ce projet repose sur le fait qu’il y aura une suite. L’an prochain, le groupe d’acteurs et d’humoristes va présenter une création collective sur ce qui fait rire leur génération. Déjà, ils constatent ce qui les sépare les uns des autres. « On a déjà réalisé que nos références sont multiples et que notre répertoire vient beaucoup de l’internet, dit Laurence Laprise. Les sources d’inspiration sont très vastes... »

Rires est présenté à l’Espace Libre jusqu’au 4 mai.

Consultez la page du spectacle