Dans Orgueil et préjugés, Arielle De Garie, qui se déplace à l’aide d’un fauteuil roulant, joue Mrs Bennet, un personnage qui, dans l’œuvre d’origine de Jane Austen, ne se déplace pas à l’aide d’un fauteuil roulant. Rencontre avec l’une des premières comédiennes en situation de handicap au Québec à tenir un rôle dans une pièce de répertoire.

Le rôle fétiche d’Arielle De Garie, lorsqu’elle était adolescente ? « C’était Cyrano de Bergerac », lance-t-elle sans hésiter, les yeux à nouveau injectés de l’intensité de sa jeunesse. « Je connectais tellement avec le fait qu’il avait une différence qui l’empêchait de se sentir libre en amour. »

Mais à 41 ans, la comédienne s’est depuis longtemps dégagée de l’ombre du personnage au pif en forme de roc, de pic, de cap, de péninsule. Au début de la vingtaine, se souvient-elle, elle a eu « l’impression de dépasser Cyrano ». « J’avais éloigné de moi la peur d’être rejetée à cause de ma différence ou, en tout cas, je la vivais beaucoup moins souvent. »

PHOTO STÉPHANE BOURGEOIS, FOURNIE PAR LE TRIDENT

Arielle De Garie dans Orgueil et préjugés

Sur la scène du Trident à Québec, depuis deux semaines, Arielle De Garie n’enfile pas de chapeau de mousquetaire, mais plutôt la robe dentelée de Mrs Bennet, la mère impatiente de marier ses filles d’Orgueil et préjugés, adaptation théâtrale du roman de Jane Austen.

Un personnage qui, dans son texte d’origine, ne se déplace pas à l’aide d’un fauteuil roulant. Ce qui est le cas d’Arielle De Garie, qui vit avec l’arthrogrypose depuis sa naissance et qui, dès le secondaire, proclamait son ambition de monter sur les planches, pour chaque fois se faire répondre qu’il n’y aurait jamais de rôle pour elle.

Dans l’intermède, la mère de deux enfants s’est donc écrit ses propres rôles, s’est inventé une carrière en montant ses propres spectacles, en plus de devenir pâtissière. Mais en 2022, parce que les rêves ne font que s’endormir et ne meurent vraiment jamais, elle a participé aux auditions ouvertes du Trident, où la metteuse en scène Marie-Hélène Gendreau viendrait lui demander : « Mais tu sors d’où, toi ? »

« L’enjeu, avant, c’était toujours qu’on sentait le besoin d’expliquer pourquoi le personnage que je jouais était dans cette condition », se désole-t-elle. Ce qui n’est pas le cas de sa Mrs Bennet, qui se déplace à l’aide d’un fauteuil roulant sans qu’on justifie pourquoi. Au spectateur de se l’imaginer, ou pas.

Je ne fais que vivre un personnage et juste ça, c’est immense, c’est magnifique.

Arielle De Garie

Mieux : la mise en scène ne déploie aucun effort pour tenter de camoufler ce handicap. « Parfois, je m’inquiétais du rythme, dit Arielle. Quand je dois me transférer d’un lit à une chaise, ça me prend du temps et ce que Marie-Hélène me disait, c’est que je donne à voir quelque chose auquel on n’est pas habitué et que ça, en soi, c’est beau. »

Remettre en question sa légitimité

Arielle De Garie tient donc non seulement son premier grand rôle au théâtre, mais devient aussi une des premières comédiennes en situation de handicap au Québec à jouer un rôle dans une pièce de répertoire. Ce qui n’est pas venu sans remise en question au sujet de sa légitimité.

L’avait-on engagée pour son talent ou parce qu’en 2024, une compagnie comme le Trident doit obligatoirement ouvrir ses portes à toutes les formes de diversité ? « C’est une ombre qui est toujours au tableau pour les artistes handicapés, confie-t-elle, et que toute l’équipe a tout fait pour évacuer. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Arielle De Garie est l’une des premières comédiennes en situation de handicap au Québec à jouer un rôle dans une pièce de répertoire.

Comme mon parcours a été semé de beaucoup de refus, et parce que c’est moi qui menais mes projets, je n’ai pas toujours été à même d’évaluer mon talent. Mais rapidement, la metteuse en scène et le directeur artistique [Olivier Arteau] m’ont dit : C’est toi qu’on veut, pour ton talent, on n’a pas de case à cocher.

Arielle De Garie

Tout aussi talentueuse soit-elle, sa participation à une pareille pièce aurait tout simplement été impossible avant l’automne dernier, alors qu’il n’y avait toujours pas, dans les coulisses de la salle de répétition qu’occupe le Trident au Grand Théâtre de Québec, de toilettes adaptées aux personnes handicapées. Ce qui n’est pas un petit détail, comme le sait quiconque possède une vessie.

La question de la représentation des personnes handicapées semble être longtemps demeurée dans l’angle mort de la prise de conscience du monde culturel autour du vaste sujet de la diversité. « Mais là, dit-elle, je sens que les portes s’ouvrent enfin, même si elles ne sont pas encore grandes ouvertes. »

Montrer le multiple

Pendant de longues années, Arielle De Garie a senti l’obligation de revêtir le masque de la superhéroïne, en déployant un luxe d’efforts afin de prouver qu’elle était capable de tout, tout, tout, un éreintant théâtre qui sera sans doute familier à bien des personnes handicapées.

J’en ai fait huit fois plus que les autres juste pour sentir que je valais la même chose que les autres, jusqu’à m’épuiser. Mais maintenant, j’en suis à le célébrer, à me dire que je suis tellement plus belle, lumineuse, intéressante grâce à mon handicap.

Arielle De Garie

À quoi rêve-t-elle ? « Je rêve de jouer et d’être vue pour tout ce que je suis, ce qui veut dire, oui, une personne qui vit avec un handicap, mais aussi tout le reste. Et c’est là, je pense, que ça commence à changer : je ne suis plus une seule chose dans l’œil des autres. Je suis multiple. Et j’ai envie de continuer de montrer ce multiple-là. »

Orgueil et préjugés est présentée jusqu’au 30 mars au Trident

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