Il y a eu des critiques acerbes quand Valérie Plante, en collaboration avec l’illustratrice Delphie Côté-Lacroix, a fait paraître en 2020 la bande dessinée Simone Simoneau – Chronique d’une femme en politique qui racontait par un alter ego ses débuts dans le monde municipal. Comment la mairesse pouvait-elle oser prendre le temps de faire une bédé en pleine COVID ?

Bien sûr, ce projet avait été imaginé avant la crise sanitaire, mais lancer un deuxième tome quatre ans plus tard, alors que Montréal est abîmé par cette même crise, qui en a exacerbé d’autres (habitation, itinérance, sécurité), est-ce prêter encore plus le flanc aux critiques ou leur faire un pied de nez ?

Valérie Plante éclate de rire, avant d’admettre que ces critiques l’ont heurtée à son premier livre. « J’ai trouvé ça difficile à entendre, mais là, j’ai envie de dire à ceux qui pensent “elle devrait faire autre chose” qu’on n’arrête pas de parler de comment il faut être passionné et travailler fort, mais qu’il faut aussi prendre soin de sa santé mentale et prendre soin de soi. Moi, la façon que j’ai de décompresser dans la vie, parce que j’en vis, de la pression, c’est entre autres d’écrire. […] Je ne suis pas un robot, je suis d’abord un être humain. »

La mairesse estimait que Simone avait encore des choses à dire. « Je trouve que mon histoire est importante à raconter, pour inspirer d’autres jeunes femmes, de la même façon que je me suis inspirée d’autres parcours de femmes. »

Ainsi, après la première aventure de Simone Simoneau qui réussissait à se faire élire dans un arrondissement populaire à sa première incursion en politique, ce deuxième tome intitulé Comme des renardes raconte sa course à la chefferie de son parti, après la démission de son chef. Qui le remplacera ? Simone se lance entre autres parce qu’on ne propose que des candidats masculins, mais elle est remplie de doutes, et cela fera remonter en elle certaines fragilités, notamment le souvenir de l’inconduite sexuelle de son directeur d’école quand elle était enfant. Et la réaction de ses parents, en particulier sa mère, qui l’ont crue, ce qui a été déterminant dans sa vie.

On devine par Simone les obstacles qu’a dû affronter Valérie Plante en voulant devenir la cheffe de Projet Montréal en 2016, mais cet épisode avec le directeur d’école, est-ce vraiment arrivé ?

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Le tome 2 de Simone Simoneau atterrit en librairie.

« Simone Simoneau, c’est très autobiographique », répond sobrement Valérie Plante. « C’est très près de moi et dans ce sens-là, j’avais envie de partager avec les lecteurs l’ensemble des questionnements qui m’ont traversée quand je me suis demandé si je voulais devenir cheffe. Je voulais montrer dans cette bande dessinée à quel point dans la vulnérabilité et dans les épreuves, il y a aussi beaucoup de force qu’on se révèle à soi-même et on doit se servir de ça pour aller plus loin. J’avais aussi envie de montrer l’apport des alliés, en l’occurrence la mère de Simone. On parle beaucoup de #metoo, de l’importance de dénoncer, d’aller voir la police, mais j’ai envie de féliciter celles et ceux qui entendent. »

Être écoutée par la mairesse

Sans cynisme, je trouve que les deux tomes de Simone Simoneau sont des livres de qualité, et cela tient beaucoup au travail de l’illustratrice Delphie Côté-Lacroix, qui signe de superbes aquarelles dans chaque case. Mais aussi parce qu’ils ont le mérite de rappeler que la base de la politique est d’écouter le monde, et qu’une telle carrière commence sur le terrain. Que ce n’est pas seulement réservé à des messieurs à cravate qui ont étudié en droit ou en économie. Le plus important est l’implication et l’envie de vouloir améliorer la vie de ses concitoyens.

C’est vrai qu’elle est inspirante, cette Simone Simoneau. Malgré tout, je me demande quelle est la part d’intérêt personnel dans ce genre de projet à l’approche des élections municipales. Valérie Plante aurait pu écrire ces livres après sa carrière, et non pendant, et elle n’est pas la première à le faire. Mais la mairesse est assez habile pour raconter l’histoire de Simone, et non celle de Valérie.

De mon côté, pour la première fois, j’ai la mairesse devant moi, et je veux en profiter pour lui poser cette question : pourquoi ma mère, qui a vécu toute sa vie dans Centre-Sud, a peur en 2024 d’aller dans la rue Sainte-Catherine ? Pourquoi le Village se dégrade-t-il à ce point ?

« Je m’en désole, me répond Valérie, l’air grave. Ça me fait vraiment de la peine. Je ne veux pas faire une réponse de politicienne plate, mais la précarité et la vulnérabilité se sont beaucoup transformées et intensifiées. Il y en avait déjà avant la COVID, qui a créé beaucoup plus d’inégalités économiques et sociales, avec la crise du logement là-dedans, et Montréal est souvent déterminé comme un endroit où il y a des services pour les personnes vulnérables. Les gens vont vers les grands centres quand ils ont besoin de services. J’en parle avec mes collègues de Toronto et de Vancouver, eux aussi, c’est la même chose. »

Je précise à Valérie Plante, qui me rappelle que pelleter les problèmes ailleurs ne les fait pas disparaître, que je n’ai jamais été une adepte du « pas dans ma cour » – ce quartier nous en vaccine –, mais à un moment donné, la cour est pleine dans un quartier qui en arrache déjà.

« Je sais, les gens du Centre-Sud sont résilients, ils sont habitués, ils me disent qu’il y en a trop. Dans une ville, on gère des humains, mais souvent, on n’a pas les pouvoirs qui vont avec. Comme, par exemple, la question de l’itinérance, de la toxicomanie, de la crise des opioïdes. Ce sont des choses sur lesquelles on travaille avec nos partenaires, le gouvernement du Québec, pour avoir plus de ressources. C’est ça qui est difficile au niveau municipal. Quand je me promène dans la rue, les gens ne se demandent pas si je gère l’itinérance ou les poubelles, ils vont me dire : hé, j’ai peur. Comme votre maman. C’est pour ça que ça me touche énormément, parce que la dernière chose qu’on veut est que les gens ne se sentent pas en sécurité. »

Sans oublier qu’on risque de la juger sur l’état du Village, puisque c’est son arrondissement. « Ce sera correct », dit-elle, en soulignant que la rue Sainte-Catherine dans l’Est sera refaite en 2025. « Moi, j’ai super hâte à ça et on travaille avec tout le monde du secteur. »

Troisième mandat, troisième tome ?

C’était inévitable, j’ai occupé une bonne partie de cette entrevue d’environ 30 minutes avec mes multiples questions sur le sort de mon cher Centre-Sud, en négligeant un peu Delphie Côté-Lacroix, que Valérie Plante ne cesse de complimenter. Avec ce deuxième tome, l’illustratrice en a appris un peu plus sur le parcours de la mairesse.

J’ai été étonnée par ton background militant, qui remonte à loin, la complexité et la richesse que tu apportais à ton leadership.

L'illustratrice Delphie Côté-Lacroix, s'adressant à Valérie Plante

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Valérie Plante et Delphie Côté-Lacroix

Elles ne pensent pas pour l’instant à un troisième tome, car Delphie Côté-Lacroix est en réflexion et a d’autres projets, tandis que Valérie Plante ne pourrait imaginer faire un nouveau livre sans la touche de Delphie. Par contre, ce qui est dans l’air, ce sont les élections en 2025 où Valérie Plante briguera un troisième mandat.

Craint-elle la fatigue du pouvoir, qui touche tous les politiciens, hommes ou femmes, quand ils perdurent ? Parce que si Simone est une débutante, Valérie Plante ne l’est plus vraiment. « Exactement, c’est ça qui est particulier, note-t-elle. En même temps, j’ai l’expérience que j’ai acquise – à travers la COVID, ce n’est pas rien d’avoir vécu ça – et les transformations que nous avons faites. Ça veut dire qu’il faut que je sois capable de me réinventer. […] Je ne veux pas être sur le pilote automatique, ça ne m’intéresse pas du tout. Je ne tiens rien pour acquis. Les Montréalais m’ont choisie une première fois, quand ils ne me connaissaient pas du tout ou très peu ; la deuxième fois, ils m’ont choisie encore plus fortement, et quel privilège ! Il va falloir encore que je leur prouve que je mérite leur vote, leur confiance, mais je trouve ça stimulant. »

Simone Simoneau 2 -  Comme des renardes

Simone Simoneau 2 - Comme des renardes

Quai No 5

98 pages