Avec I Need to Stay Here, Elliot Maginot livre un quatrième album plus enraciné, dans lequel il assume davantage sa place dans le monde, ainsi que sa bibitte intérieure.

« N’importe quel album, c’est toujours une espèce de bilan », croit l’auteur-compositeur-interprète montréalais qui réfléchit comme il parle, c’est-à-dire vite et beaucoup, ce qui tranche avec le côté mélancolique de sa musique. « Qu’est-ce que j’ai fait, qu’est-ce que j’ai envie de faire, pourquoi, est-ce que ça vaut encore la peine ? En vieillissant, il faut que les choses aient une signification de plus en plus profonde. »

Son parcours est sûrement lié à cette réflexion : après deux premiers albums qui ont connu moins de rayonnement, Elliot Maginot a rencontré son public autour de la sortie d’Easy Morning, en 2021. Ce nouvel album arrive ainsi après trois années de tournée bien remplies, mais même s’il a gagné en confiance, en sécurité financière et en reconnaissance, le chanteur de 35 ans ne cesse de s’interroger sur le sens de ce qu’il fait – plus que jamais même, alors que le milieu de la musique traverse une période difficile depuis la pandémie.

Extrait de For the Living, d’Elliot Maginot
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Agir

I Need to Stay Here est le reflet de ce questionnement... et des réponses qui viennent avec, nous raconte-t-il lors d’une entrevue fort intense dans son appartement d’Hochelaga. « Je me suis dit : voici ma situation. As-tu envie de rester ici, sur cette Terre, dans ce quartier, dans cette job, avec les gens que tu aimes et aimes moins ? La réponse a été oui. L’album, c’est un genre d’ode à : voici les cartes qui me sont données. Parce que je n’aurai pas une autre face, un autre cerveau, une autre société. »

Il ne naîtra pas à une autre époque non plus, ajoute-t-on. Il opine et avoue qu’il n’a compris que récemment qu’il n’aura pas une deuxième chance de vivre sa vie.

« C’est cliché, mais j’ai compris que si tu ne prends pas les choses en main, il n’y a pas de changement. Et j’ai envie d’être une partie plus active de mon destin, de ma famille, de mon milieu, de toute ! Tu es pas juste une particule qui bounce sans contrôle, tu as un champ d’action, tu as des choses à apporter aux gens, et il y a des choses que les gens peuvent t’apporter si tu l’acceptes. »

N’appelle-t-on pas ça devenir adulte ? Elliot Maginot grimace un peu : on dirait bien qu’il n’aime pas beaucoup l’idée. Mais ce n’est pas le cas, répond-il, parce qu’il sait maintenant qu’être adulte ne veut pas nécessairement dire « devenir plate et beige et perdre sa fantaisie ».

« Au contraire, je me sens plus enfant que jamais, parce que je suis plus solide. Être adulte ne signifie pas tuer sa bibitte intérieure ! C’est se sentir plus en confiance pour la laisser vivre, et la montrer à la face du monde. »

Quotidien

Elliot Maginot désirait s’ancrer davantage dans ses textes, et cela s’est concrétisé aussi musicalement. Après avoir utilisé des instruments d’Afrique de l’Ouest dans son précédent album, celui-ci penche du côté de la musique racine américaine et traditionnelle irlandaise, avec des instruments à l’avenant : mandoline, banjo, violon, flûte, pedal steel…

Extrait de Then I Remembered, d’Elliot Maginot
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« Mais je ne prétends pas faire un album trad ou country. C’est juste que j’avais envie d’entendre ces sons. Quand je suis obsédé par un instrument, je trouve la personne qui en joue le mieux, et on fait des chansons ensemble. »

Pour Elliot Maginot, l’instrumentation est plus que de l’emballage, c’est un moyen d’expression en soi. Avec ces arrangements, l’idée était d’aller chercher la poésie dans le quotidien.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Elliot Maginot

Quand je marche dans Hochelaga, j’entends plus une pedal steel qu’un orchestre symphonique. Tu comprends ce que je veux dire ? L’un n’est pas meilleur que l’autre, tu peux avoir le goût de sortir de ton quotidien et faire quelque chose de magnifié. Mais là, ce que je voulais dire, c’est : je vis ici.

Elliot Maginot

Utiliser des instruments associés à la musique populaire était le prolongement normal de ces envies très « terrestres », tout comme enregistrer l’album en réunissant les musiciens dans une seule pièce.

« On a fait ça dans mon local à côté. On a bâti un studio un peu guérilla, on n’avait pas le choix de jouer tous ensemble, avec le bruit de la ruelle, le chauffage qu’on entend, le plancher qui craque. J’adore ça. »

Il a préféré ce côté it is what it is à la perfection sonore, même si ça vient avec son lot d’insécurité. « Surtout que les gens s’en foutent un peu. Toi, tu es obsédé par tes tones de guitare, ou par choisir la meilleure track, mais les gens, eux, ils entendent une chanson, une intention. »

Extrait d’Ordinary Life, d’Elliot Maginot
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Le musicien a coréalisé l’album avec son ami et complice de toujours Connor Seidel, un peu dans cet esprit de voir comment les choses évoluent, sans plan précis, dans l’ouverture et l’écoute. C’est comme ça aussi qu’il chante, avec cette voix assez haute au léger trémolo, émouvante et particulière, qu’il jure ne pas contrôler complètement. « Mon seul outil, c’est que je me pitche et que je vois ce qui arrive ! »

Elliot Maginot a repris déjà les spectacles et espère que le plus de gens possible viendront entendre ses nouvelles chansons. Il rêve aussi qu’il n’y ait plus de séparation entre sa vie de musicien de tournée et sa vie de créateur, et se promet d’être plus ouvert face au public en spectacle. « Juste laisser la musique être ce qu’elle est, et avoir du fun. Être plus vers et dans le monde. »

Comme dans l’album finalement ? « Oui. J’ai envie que ce soit cohérent et que ma vie soit un tout. De ramener de la créativité dans tout ça. De ne pas attendre d’être tanné de ce cycle pour passer au prochain. Que ce soit plus fluide et mouvant, plutôt qu’une seule ligne jusqu’à la mort. »

I Need to Stay Here

Folk

I Need to Stay Here

Elliot Maginot

Audiogram