Dans Juste entre toi et moi, le journaliste Dominic Tardif se prévaut d’un grand luxe, celui du temps. Toujours quelque part entre le rire et l’émotion, entre la riche réflexion et l’anecdote à bâtons rompus, ces entretiens sont autant d’occasions permettant à des personnalités médiatiques et culturelles d’aller au bout de leur pensée.

Hubert Lenoir n’aime pas les réseaux sociaux, n’aime pas se faire prendre en photo, n’aime pas tant que ça accorder des entrevues, mais fait une exception aujourd’hui, en nous accueillant dans ce petit appartement qui lui sert de studio, quelque part dans le quartier Saint-Roch à Québec, pas loin de la maison qu’il habite avec son amoureuse et gérante, Noémie.

Hubert Lenoir vient ici chaque jour, de 13 h à 20 h, parfois plus tard, afin de renouer encore une fois avec « l’affaire qu’il aime le plus au monde », la musique. Une histoire qui dure depuis que son (ancien) métalleux de frère aîné, Julien, lui a enseigné quelques accords – mi mineur, ré, un autre – assez pour laisser entrer les chansons qui frappaient à la porte de sa tête.

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Mais il se trouve que la musique – et tout ce qui l’entoure – est cette chose puissante, qui peut parfois soulever d’imprévisibles tempêtes. La haine dont il a été l’objet après l’explosion de son premier album, Darlène (2018), a-t-elle contribué à ce choix de mener désormais une vie beaucoup plus recluse et de prendre un pas de recul par rapport à la vie publique ?

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Hubert Lenoir en entrevue

« Ç’a sûrement beaucoup à voir », laisse tomber Hubert qui, ce jour-là, porte un gigantesque poncho vert, du genre que l’on porte afin de se protéger d’une grosse averse, parmi la foule d’un festival. « J’essaie de m’intégrer dans un concept », expliquera-t-il au sujet de ce look, la parole laconique, mais le sourire généreux.

« Au début, le succès, c’était hyper bon », dit-il en se rappelant les premiers échos réservés à ses chansons par la critique et un public fervent, mais restreint.

C’est quand ça frappe le grand public qu’il y a cette polarisation qui arrive. Et au début, je ne le prenais pas mal. Aucunement. Je le prenais comme quelque chose qui fait partie du jeu. Ça me faisait rire. J’avais des influences punk et je me disais : ça fait partie de ce que je suis. J’étais dans l’ivresse.

Hubert Lenoir

« Mais à un moment donné, poursuit-il, la polarisation crée une négativité qui te suit constamment. À un moment donné, cette négativité-là fait pleurer ta mère. »

Plus fort

Hubert Lenoir s’en souvient comme si c’était hier : en décembre 2018, son nom est apparu dans un palmarès des personnalités québécoises ayant marqué l’année pour le pire, presque à égalité avec Alexandre Bissonnette, l’auteur de la tuerie de la grande mosquée de Québec. Une liste établie par un sondage de la firme Léger, commandé par Le Journal de Montréal, sur laquelle figuraient aussi Gilbert Rozon, Éric Salvail et Gilles Vaillancourt. Ayoye.

C’était vraiment intense. Et cette négativité-là, même si elle te fait un peu rire au début, parce que tu es jeune et que tu te dis “Fuck the world”, elle finit par t’atteindre, à l’usure, ou par la bande.

Hubert Lenoir

Le gentil trublion ne le nie pas : il en a parfois volontairement remis une couche, comme par réflexe de protection. « Peut-être que je ne voulais pas avoir l’air d’être atteint, peut-être que j’avais envie d’être punk rock, pour ne pas donner raison aux autres, philosophe-t-il. Tu veux rester fort, alors tu veux presque plus faire chier le monde. Mais ça reste de la négativité pareil. »

Et comment console-t-on une mère qui pleure parce qu’on s’en prend à son fils ? « Je lui disais de ne pas lire les commentaires, mais elle le faisait pareil. »

Au nom de la musique

Hubert Lenoir dit être aujourd’hui devenu « plus fort », parce qu’il a vieilli – il aura 30 ans en août – et parce qu’il a placé une grosse couche de mousse isolante entre le monde et lui, afin de préserver intacte sa santé mentale ainsi que sa relation à la musique.

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Hubert Lenoir en entrevue

« The more I paint, the more I like anything », a un jour déclaré Jean-Michel Basquiat, une phrase qui résume bien le rapport omnivore d’Hubert Lenoir à la musique, lui qui dit se considérer comme « extrêmement chanceux » de simplement pouvoir en vivre, mais aussi de pouvoir collaborer avec des projets à ce point différents que ceux de Star Académie, de Philippe Katerine (le fruit de leur travail se retrouvera peut-être sur le prochain album du plus attachant timbré de la chanson française) ainsi qu’avec des artistes de la marge qu’il admire, comme Crabe et Élégie.

Son enthousiasme est encore le même que celui de l’adolescent qui découvrait les Beatles, Donovan, Prince et Bowie, grâce à la collection de vinyles du père d’un ami et aux inestimables conseils des disquaires de Musique chez Sonny, rue Saint-Jean.

Il essaie de ne pas oublier qu’il a un jour été ce garçon qui exultait au moment où son frère, son héros, a enfin accepté de le laisser se joindre à son groupe, The Seasons : « Ce premier feeling-là, de faire de la musique, d’être avec mon frère, d’être dans un band de rock, c’était la plus belle chose qui pouvait m’arriver. »

La conclusion de notre entretien ? « J’aime tout le monde », laisse tomber Hubert. Même ceux qui ne l’aiment pas ? « Même ceux qui ne m’aiment pas. J’aime profondément tout le monde. »

Trois citations tirées de notre entretien

À propos de sa flamboyance scénique

« Je jouais dans la rue, sur la rue Saint-Jean, et j’étais dans une période de ma vie où j’avais du mal à payer mon loyer. J’avais besoin de faire de l’argent. Pour que le monde jette des deux piastres, il fallait vraiment que je donne un spectacle. C’est comme si j’avais été poussé à l’eau, parce que j’étais de nature hyper gênée. J’ai eu besoin de développer ce côté performeur, entertainer. »

Au sujet de sa rencontre avec Philippe Katerine

« On s’est rencontrés lors d’un spectacle auquel Radio France m’avait invité, un hommage à Françoise Hardy à la Maison de la radio. Philippe, je ne le connaissais pas, mais je savais qu’il avait déjà dit du bien à mon sujet. Je l’ai vu entrer et, au début, il ne me parlait pas, puis il m’a serré la main et il m’a dit “Condoléances à tous ceux qui sont comme moi” [phrase tirée de sa chanson Secret]. Puis il a arrêté de parler. J’ai trouvé ça très iconic comme moment. »

À propos de sa québécitude

« J’ai toujours été fier d’être un artiste québécois, mais il faut vraiment aller ailleurs, travailler avec d’autres personnes, pour comprendre à quel point on est ce qu’on est, à quel point on ne peut pas fuir qui on est. Quand je vais en France, je me force, j’ai deux fois plus d’accent, juste pour plus affirmer qui je suis. »