Un dessin d’enfant prend une valeur inestimable dans nos cœurs, même s’il est le 14e de la journée à nous être offert et qu’il est d’une grande insignifiance. Mais saviez-vous qu’un dessin exécuté par un mineur qui n’a aucun statut d’artiste est également protégé par la loi ?

Voici l’histoire renversante de Mario Perron, enseignant d’arts plastiques à l’école secondaire Westwood Junior, à Saint-Lazare, dans la municipalité régionale de comté de Vaudreuil-Soulanges. Cet établissement fait partie de la Commission scolaire Lester-B.-Pearson. Le 19 janvier dernier, ce professeur a proposé un exercice pour le moins original à ses 96 élèves de 7e et 8e année.

Il leur a demandé de participer à un projet appelé « Creepy Portrait » qui consistait à créer un portrait effrayant d’un de leurs camarades ou d’eux-mêmes. Tout cela à la manière de l’artiste Jean-Michel Basquiat, reconnu pour son style combinant des signes manuscrits et des illustrations d’allure primitive.

Le 8 février dernier, se questionnant sur « les accomplissements professionnels » de leur enseignant, comme cela est précisé dans la demande introductive d’instance, certains élèves ont effectué une recherche sur le web à partir de son nom.

Quelle ne fut pas leur surprise de découvrir que leur professeur proposait sans leur consentement sur le site Fine Art America des articles (tasses, t-shirts, boîtiers à cellulaire, coussins, toiles sur canevas, etc.) arborant leurs dessins. Le prix de ces articles allait jusqu’à 150 $.

Il a été facile pour les élèves d’identifier leurs œuvres, car le prénom de certains créateurs apparaissait sur des articles. Alertés par les enfants, des parents ont alors formulé une mise en demeure. Les réclamations et plusieurs demandes injonctives formulées ont été ignorées.

Mais voilà que vendredi dernier, 10 parents ont déposé devant la Cour supérieure une action collective de 1,5 million de dollars en vertu de la Loi sur le droit d’auteur contre l’enseignant et la Commission scolaire Lester-B.-Pearson. L’action réclame 155 000 $ par plaignant. Une somme de 100 000 $ en dommages punitifs et une autre de 150 000 $ en frais de justice sont aussi demandées.

De plus, les parents, dont le nombre pourrait passer à 13 selon Martin B. DeBellefeuille, avocat chargé de cette poursuite, exigent des excuses de la part de l’enseignant, le retrait des œuvres de tous les sites internet (ce qui a été fait) et un compte rendu des ventes réalisées à ce jour.

À la Commission scolaire Lester-B.-Pearson, on a refusé de me parler de cette histoire qui fait actuellement le tour du monde, se bornant à dire qu’on ne commente pas « les enquêtes internes ou les questions relatives aux ressources humaines », d’autant plus que cette cause est maintenant devant les tribunaux.

En découvrant cette affaire, vous serez tentés de dire : mais comment un dessin d’enfant peut-il être protégé par la Loi sur le droit d’auteur ? « Toute forme d’art qui émane d’une personne appartient à son auteur, sauf si une entente est signée avec une autre partie, m’a expliqué MMartin B. DeBellefeuille. Le statut de l’artiste et l’âge du créateur n’ont aucune importance. Si quelqu’un d’autre s’approprie une œuvre pour l’exploiter, il doit le dommage qu’il cause au créateur. Fait important, la loi prévoit des dommages qui sont statutaires. »

« Ça montre que les œuvres sont protégées même quand ce sont des mineurs qui les font », m’a dit Ysolde Gendreau, professeure à la faculté de droit de l’Université de Montréal et spécialiste de la propriété intellectuelle. « C’est un cas extrêmement rare. C’est la première fois que je vois ça. »

Le montant de la poursuite, qui s’élève à 1,5 million de dollars, frappe l’imaginaire. Est-ce exagéré ? « C’est un bon réflexe d’être allé vers les dommages statutaires, dit Ysolde Gendreau. Cela dit, il faudra voir comment on calcule ces dommages. Ce que je trouve toutefois intéressant, c’est ce qui est réclamé comme dommages punitifs. »

Est-ce que l’art qui émane d’un cours est la propriété de l’établissement ou de l’enseignant ? Voilà une question qui devra être éclaircie.

Là-dessus, François Le Moine, avocat spécialisé en droit de l’art et de la propriété intellectuelle, est formel. « La seule exception pour ne pas être propriétaire de son œuvre, c’est être dans une situation d’emploi. Or, une commission scolaire n’est pas l’employeur d’un élève. Ce dernier garde son droit d’auteur. Quant à l’enseignant, à moins d’un projet qui aurait fait l’objet d’une entente spéciale, il ne peut pas être propriétaire des œuvres de ses étudiants. »

François Le Moine croit que cette affaire devrait susciter une réflexion sur la question du droit d’auteur en milieu scolaire. « Ça démontre qu’il y a une absence importante de sensibilisation au droit d’auteur dans les écoles. Ça ne serait pas mauvais d’offrir une formation aux professeurs et aux étudiants. »

Il a parfaitement raison, car la chose qui m’étonne le plus dans cette affaire, c’est qu’un professeur d’art d’une école secondaire ait pu faire un tel geste en contournant la loi qui protège l’art et les créateurs. Méconnaissance ou aveuglement, dans ce cas-ci ?

La demande de créer un « Creepy Portrait » est venue d’une missive publiée sur Google Classroom, un outil que la Commission scolaire Lester-B.-Pearson utilise pour communiquer avec les élèves et les parents. L’enseignant a fait cette demande en précisant qu’il fallait s’inspirer de l’œuvre de Basquiat… et non la plagier.

Ça ne s’invente pas !