« Il n’y a pas de drogue douce, c’est une contradiction dans les termes », me disait un bon ami. Bien sûr, on comprend qu’un sevrage de café ne doit pas ressembler à un sevrage d’opioïde, mais je trouve que mon ami n’a pas tort : tout ce qui cause la dépendance n’est pas anodin.

La mode est aux cures de 28 jours, c’est pourquoi le mois de février s’y prête bien, quoique nous sommes dans une année bissextile et je me demande si ce petit jour de plus ajoute psychologiquement au défi. Ça fait longtemps aussi que je me demande si ce n’est pas l’un des messages cachés d’un de mes films de zombies préférés, 28 Days Later.

On choisit le mois le plus court de l’année pour tester nos limites, et pourtant, ça peut paraître long pour certains qui se découvrent un problème. Depuis plus de 10 ans, le Défi 28 jours sans alcool est une excellente initiative de la Fondation Jean Lapointe pour inciter les gens à se questionner sur leur consommation. Si ce défi avait existé plus tôt, bien des consommateurs auraient peut-être compris certains dangers plus jeunes. Malgré tout, chaque année, des esprits rebelles chialent contre cette activité, et boivent fièrement sans trop de compassion pour ceux qui luttent contre leurs démons.

Personne n’est obligé de relever ce défi, mais je comprends un peu l’exaspération ; dans ma jeunesse fêtarde, je riais moi aussi de cette sobriété momentanée et très affichée, jusqu’à ce que l’empathie me rattrape, en voyant des amis sombrer, en découvrant moi-même, avec inquiétude, les impacts de la consommation d’alcool régulière sur la santé.

Les études sont de plus en plus précises là-dessus et l’an dernier, beaucoup de monde a capoté en apprenant qu’un seul verre serait un verre de trop, ce qui, avouons-le, était fort de café. Le documentaire Péter la balloune de mon ami Hugo Meunier en a aussi fait réfléchir plusieurs, je me souviens que dans les soirées (arrosées), on ne parlait que de ça. Malheureusement, Radio-Canada, qui détient les droits de ce documentaire, l’a retiré de sa plate-forme en raison de quelques erreurs factuelles qu’on aurait dû, à mon avis, corriger. Car j’ai rarement vu un documentaire avoir un tel effet sur mon entourage.

L’alcool est probablement la seule substance pour laquelle on invite à se priver pendant un petit mois, pour ensuite y retourner. Ça ne pourrait pas fonctionner avec la cigarette, par exemple. Passer 28 jours sans fumer, ce n’est pas assez, il faut arrêter définitivement. En tout cas, c’est ce que je comprends avec les nouveaux paquets dont l’affichage est encore monté d’un cran dans la terreur. Poumons calcinés, langue tuméfiée par le cancer, et même gangrène du pied. Comme si ce n’était pas assez, il y a maintenant un message de prévention sur chaque bout filtre, « Du poison dans chaque bouffée » ou « La cigarette cause la leucémie ». C’est devenu gênant, ça donne envie de passer à la cigarette électronique pour s’éviter cette humiliation, mais les fumeurs incapables d’arrêter endurent ces campagnes depuis longtemps, sachant que personne ne prendra leur défense. Vous comprendrez quand des photos de foies ravagés par la cirrhose ou des cerveaux atrophiés orneront les bouteilles de vin.

L’affaire est que l’alcool est encore à peu près partout dans la vie sociale, et pratiquement dans toutes les téléséries. À la télé, on boit toujours du vin, et bizarrement, on ne fume jamais de joint, même si c’est tout aussi légal maintenant.

À la SQDC, les commis doivent proposer aux clients du cannabis avec moins de concentration de THC, ce qui n’est pas une mauvaise idée. Verrait-on un employé de la SAQ proposer les produits les moins alcoolisés ? On boit pour le goût, dit-on, un bon vin ou un excellent whisky, mais on remarquera que dans les dépanneurs, les bières à fort pourcentage d’alcool, bien plus nombreuses qu’à l’époque où il n’y avait que de la Dow ou de la 50, sont prisées des alcoolodépendants et des étudiants au budget limité.

Si on fait le Défi 28 jours et qu’on est le moindrement sorteux et sociable, c’est là qu’on se rend compte que l’alcool est difficile à éviter. En revanche, je trouve que le discours autour de la consommation a beaucoup évolué, on semble de plus en plus respectueux des limites des autres, on a de moins en moins honte de dire qu’on a un problème et qu’on n’a pas le choix d’être sobre, que c’est reçu avec plus de compréhension et moins de jugement qu’avant – sauf, peut-être, par les gens qui sont tristes de perdre des partenaires de cuite. Peut-être aussi que mes amis et moi, nous vieillissons et que nous supportons de moins en moins les gueules de bois. Le dialogue sur la dépendance, qui a trop longtemps été teinté de morale, s’améliore en même temps que les recherches et les programmes d’aide sur le sujet. On s’éloigne lentement de cette idée que tout n’est qu’une question de volonté, ce qui est terriblement faux pour certains qui ne pourront jamais s’en sortir sans aller chercher du soutien. Et il ne faut jamais avoir honte de demander de l’aide.

Pour être honnête, je n’ai jamais fait le défi de février, les abus des nombreux partys du temps des Fêtes font souvent que je préfère la tisane en janvier, mais février est un mois tellement sinistre et plate que je n’ai pas envie de me priver d’un petit remontant le vindredi – ce jeu de mots est tellement entré dans les mœurs qu’il en est devenu ringard, c’est tout dire.

Mais aux personnes qui font le Défi 28 jours, j’ai envie de dire bravo, vous faites bien, ça ne pourra jamais vous nuire. Je les encourage à tenir bon… jusqu’au 29, au moins.