Le Chili est en flammes pendant que Caroline Dawson combat un autre incendie, celui du cancer. Le jour où elle me reçoit, les nouvelles ne sont pas très bonnes ni pour son pays natal ni pour sa santé. Mais ses proches au Chili ont pu se mettre à l’abri et elle garde un moral d’acier. « Ça se passe exactement où on habitait, ça a brûlé, dit-elle. Ce sont les changements climatiques, personne ne le dit, mais c’est clair que c’est le cas. Des températures de 40 oC au Chili, on ne voit pas ça. »

Je n’avais pas encore eu l’occasion d’interviewer Caroline Dawson, mais j’avais envie de la rencontrer, en ayant l’impression de la connaître depuis toujours, après avoir lu Là où je me terre et Ce qui est tu, qui m’ont profondément touchée. Nous avons grandi dans les mêmes quartiers, nous avons les mêmes références culturelles, avec ceci de différent qu’elle éclaire d’un autre regard – celui de la petite fille immigrante arrivée ici à 7 ans – un monde que je connais bien, qu’elle passe pratiquement aux rayons X, où on sent poindre, très jeune, son indignation face aux inégalités. Peu d’écrivains ont réussi à dépeindre aussi bien la réalité d’être immigrant autant que la vie dans Hochelaga et Centre-Sud, qui étaient à l’époque des lieux déjà durs pour les natifs.

Le prétexte de cette rencontre, outre mon admiration, est un nouveau livre, pour enfants cette fois : Partir de loin, en collaboration avec l’illustratrice Maurèen Poignonec.

Nul doute que la jeune Caroline aurait aimé avoir ce genre de livre quand elle est arrivée au Québec.

Elle n’était pas certaine au début d’accepter l’invitation de l’éditrice Jade Bérubé, mais elle l’a écrit pour ses enfants et pour tous les petits, afin qu’ils puissent comprendre de façon sensible (et amusante) ce que cela signifie, partir de loin et s’installer ailleurs pour toujours. « J’ai dit à Jade que si je faisais un livre là-dessus, je voulais qu’il soit drôle, parce que les enfants aiment rire. J’ai l’impression qu’il y a des livres qu’on achète pour se faire du bien, nous, les parents, pour avoir la conscience tranquille, surtout les livres qui parlent d’immigration et de réfugiés, et que les enfants trouvent parfois mortellement plates. »

Très respectueuse du travail de l’illustratrice, elle n’avait qu’une demande : que le personnage de la mère ait de longs cheveux, « car ça [lui] manque beaucoup », confie-t-elle, en me parlant de son lit, comme ce fut le cas lorsqu’elle a discuté avec mon collègue Dominic Tardif pour son émission balado, que je vous invite à écouter.

Écoutez la balado Juste entre toi et moi avec Caroline Dawson

Caroline Dawson suit un traitement d’immunothérapie qui la fatigue beaucoup moins que la chimiothérapie. Mais, encore une fois, le pronostic n’est pas rassurant. « Nous avons eu trois fois de très mauvaises nouvelles, c’est la quatrième fois qu’on me tue, et quand je dis ça à mon chum, il rit un peu. Je dirais que je vais bien, je n’ai pas perdu de poids, ma tête va bien, mes douleurs n’ont pas augmenté. Même si les tests montrent que c’est plus sérieux cette fois, je prends ça avec un grain de sel. Que veux-tu que je fasse ? Je suis pognée là-dedans, mais je ne veux pas continuer à vivre différemment. »

C’est plus difficile pour ses parents, ajoute-t-elle, qui l’aident beaucoup et qui s’inquiètent comme tous les parents aimants. « Mes enfants, ils sont ailleurs. J’ai l’impression que je vis pour la première fois comme mes enfants vivent, dans le moment présent. Quand je suis avec eux, je ne pense à rien d’autre. Avant, j’étais un parent qui répondait à ses courriels pendant qu’on jouait au parc, ce n’est plus le cas maintenant. »

Comprendre par les sens

Dans Partir de loin, alors qu’une famille fait ses bagages à la veille d’un voyage, une mère qui ressemble à Caroline raconte à ses enfants la première fois qu’elle a pris l’avion, et ce n’était pas pour des vacances ou du tourisme. Ses craintes, un vomi en plein vol, l’étonnement devant la première neige, l’apprentissage d’une nouvelle langue…

Je pense que les enfants comprennent ce qu’est l’immigration à travers des choses très concrètes et des sensations. Par exemple, on ne sait pas au début comment s’habiller pour l’hiver ou que déménager tout le temps, cela a des conséquences : il faut se faire de nouveaux amis.

Caroline Dawson

Ses propres enfants ont été ses premiers critiques, très émus quand ils ont découvert le résultat final. Partir de loin a même été lu dans la classe de sa fille et a ouvert une riche discussion sur les thèmes du livre. « Ça m’a fait vraiment plaisir, car ils ont beaucoup ri. »

Et ce devait être très loin des dérapages dans les débats sur l’immigration. « Nous sommes dans un momentum, la classe politique en parle et renvoie ça à tout le monde et tout le monde a une opinion, constate Caroline. Mais je pense qu’il y a des moyens politiques de faire en sorte que les immigrants nous aident et ce serait heureux pour tout le monde. »

Elle a bien vu à l’hôpital les infirmières épuisées courir à gauche et à droite. Elle remarque aussi ce système d’éducation de plus en plus à deux vitesses, alors que nous avons eu droit, elle et moi, à une bonne éducation à l’école publique du coin. Ce que j’ai trouvé particulièrement brillant dans ses livres est de faire se rencontrer le sort des immigrants et les lacunes d’une société envers tous ceux qui en arrachent, peu importe leurs origines. Cette conscience des classes sociales quand on grandit dans un milieu pauvre, où on perd le goût de rêver, tout simplement parce qu’on n’a pas eu de modèles, de génération en génération. « C’est exactement ça. Certains ne peuvent voir l’horizon des possibles parce que ça n’a jamais été là pour personne. »

Cela lui vient, selon elle, de son père qui était socialiste et qui lui faisait la leçon. « J’allais chez des amis, il n’y avait rien à manger, ce n’étaient pas des foyers heureux, et quand je revenais chez moi, ce n’était pas ça. Mes parents étaient fatigués, mais je pense qu’ils avaient le souci important de faire en sorte que leurs enfants soient heureux. »

C’est précisément pour cela qu’un jour, ses parents ont pris l’avion et quitté le Chili : pour que leurs enfants puissent s’épanouir. Se déraciner pour cette raison est selon moi la plus grande preuve d’amour. Et j’ai envie de dire merci aux parents de Caroline Dawson d’avoir donné au Québec un si magnifique être humain, qui a le talent d’écrire des livres dont nous avions besoin. Petits ou grands lecteurs.

Partir de loin

Partir de loin

La bagnole

32 pages (en librairie le 14 février)