« Fais juste attention de pas leur dire que t’agresses des petites filles, pis ça va ben aller. »

La fin du dernier épisode de L’empereur, relayé mercredi à 20 h sur les ondes de Noovo, a assurément provoqué des applaudissements et des sifflements dans de nombreuses chaumières du Québec. Tiens, mon écœurant ! Paie pour tes gestes dégueulasses ! Braille, tu pisseras moins !

Arrêté pour agression sexuelle, puis détenu, le publicitaire Christian Savard (glaçant Jean-Philippe Perras) a subi une humiliante fouille à nu, squat inclus, avant de rejoindre ses nouveaux camarades prisonniers, qui l’attendaient avec une brique et un fanal artisanal.

Enfin, le pervers narcissique le plus détesté de la télé québécoise subissait les contrecoups de tout ce qu’il a infligé à la serveuse Marilou Côté (Charlotte Aubin), à sa collègue de travail Manuela Suarez (Noé Lira) et à l’athlète Florence Morieux (Naïla Louidort).

De patron téflon, insaisissable et imperméable aux enquêtes policières, le playboy de la pub basculait du côté des terrifiés, de ceux qui souffrent et qui ne guérissent jamais tout à fait. Il y a quelque chose de profondément satisfaisant à voir cet homme influent (et fictif, bien sûr) être puni sévèrement, après tant d’années d’impunité, et en baver sous nos yeux.

Comme si la descente aux enfers de Christian Savard rachetait tous les cas d’agresseurs sexuels (bien réels, ceux-là) qui ont récemment échappé aux tribunaux. Oui, la justice existe, même si elle s’inscrit dans un contexte de télésérie. Et rien de mieux qu’une exécution publique pour calmer la grogne populaire.

Il y aurait une thèse à écrire là-dessus, en complément de celle de l’universitaire Coralie (Jade Charbonneau), la blonde de Christian qui s’intéresse, pour son mémoire de maîtrise, à la « victimisation comme objet de pouvoir ».

Bien huilé, l’étau se resserre autour de Christian Savard dans l’épisode de L’empereur de mercredi, le sixième sur un total de huit pour cette deuxième saison. Mais tel un serpent, le gluant Christian glisse et se faufile encore entre les craques du système judiciaire. « C’est un homme de mille ressources. Il a des moyens financiers, il a des relations et il a toujours une stratégie pour rebondir. Il n’éprouve pas de culpabilité et il ne mesure pas ce qu’il a fait », précise l’auteure Michelle Allen (Fugueuse, Pour Sarah), créatrice de cet empereur autant fâchant que captivant.

Le plus troublant, c’est quand Christian montre l’humanité qui se cache derrière le monstre, notamment en présence de ses deux jeunes enfants. Une partie de nous hait tout ce que représente Christian et l’autre comprend sa réalité de parent poule, prêt à tout pour protéger et garder les siens.

Dans le septième épisode, déjà offert sur la plateforme Crave, Jean-Philippe Perras apparaît dans une scène hyper chargée avec Jean L’Italien, qui incarne son père Lionel dans la minisérie. Ce moment charnière éclaire d’une autre façon tous les épisodes précédents.

Roi incontesté du détournement cognitif (le bon vieux gaslighting), Christian Savard s’en sort en déformant les faits et en tordant la vérité à son avantage, ce qui hausse, de semaine en semaine, le niveau d’exaspération des téléspectateurs. Mais quand ce salaud frappera-t-il son Waterloo (pas celui d’ABBA, évidemment) ?

« Tout le monde attend ça depuis un an et demi », indique Michelle Allen en ajoutant que le huitième et dernier épisode de L’empereur ne décevra personne. Et non, la scénariste ne pondra pas de troisième chapitre, elle a épuisé et bouclé son sujet.

Ceux qui sacrent en s’installant devant L’empereur laisseront échapper d’autres gros mots d’église, mercredi soir, quand la dernière victime de Christian, sa propre nièce Rosie Savard-Hébert (Léa Roy), passera dans le tordeur de l’enquête préliminaire. L’avocate de Christian, Aimée Beaulieu (Geneviève Beaudet), ne la ménagera pas. « C’est la scène de L’empereur qui m’a le plus émue à l’écriture. Elle montre que le système de justice est résistant et difficile », constate Michelle Allen.

Le personnage d’Allison (Shoshana Wilder), la partenaire anglophone de Christian à l’agence Primal.e, souffle le chaud et le froid depuis le premier épisode.

Ambitieuse et ratoureuse, Allison a porté plusieurs masques contradictoires (complice de Christian, alliée des victimes), et son vrai visage s’exposera bientôt, dans un revirement bien construit par la scénariste.

Quant à la jeune et brillante Coralie, qui s’incruste quasi de force dans le condo et dans la vie personnelle de Christian, elle a été manipulée très jeune – le fameux grooming – par son prédateur et elle en porte toutes les cicatrices. Vraiment, elle fait pitié, prisonnière de l’aura et de l’emprise de Christian le marionnettiste. Même quand elle découvre des enveloppes incriminantes dans le coffre-fort de son amoureux, Coralie détourne le regard et refuse de comprendre que RSH signifie Rosie Savard-Hébert. Une autre proie sur le tableau de chasse de notre détraqué sexuel.

Ce que L’empereur accomplit très bien aussi, c’est d’exposer les dommages collatéraux qui découlent des multiples agressions de Christian. Sa sœur Audrey (excellente Madeleine Péloquin), qui l’a toujours défendu, a tout perdu. Son ex-femme Olivia (Geneviève Boivin-Roussy) a conservé les deux enfants dans une bulle, mais la surexposition médiatique du cas perce vite ce cocon de protection.

Et quand la plus vieille Pauline (Léa-Kim Lafrance-Leroux) apprend des infos épouvantables à propos de son papa, elle part en vrille et fait un geste qui frappe en plein plexus.

On se doute bien que Christian Savard finira en taule, à la fin du huitième épisode de L’empereur. On espère juste qu’il croupisse dans l’aile la plus dangereuse et la plus insalubre de tous les pénitenciers du Québec.