À l’instar d’autres villes québécoises, Trois-Rivières a adopté son budget 2024 en décembre dernier. La hausse du compte de taxes de 3,95 % et l’ajout d’une « taxe piscine » de 50 $ ont alors attiré l’attention du public.

Mais depuis quelques jours, c’est un autre aspect du budget qui fait jaser : la part réservée à la culture et aux loisirs est la plus importante de l’enveloppe. En effet, près de 17 % du budget est consacré à ce secteur, une chose absolument unique au sein des villes québécoises de grandeur similaire.

Du budget de 362 millions de dollars, près de 62 millions vont à la culture et aux loisirs de cette municipalité de 140 000 habitants. C’est plus que la somme réservée à la sécurité publique (60,7 millions). Voilà qui frappe l’imaginaire de certains !

Une équipe de Radio-Canada, en Mauricie, s’est attardée à comparer ce ratio avec celui d’autres villes dont la population oscille entre 100 000 et 200 000 habitants. Saguenay et Lévis consacrent respectivement 7,9 % et 10,3 % de leur budget aux arts, à la culture et aux loisirs. Terrebonne (11 %), Saint-Jean-sur-Richelieu (13 %) et Sherbrooke (14 %) ne surpassent pas non plus Trois-Rivières. Même chose pour Shawinigan, Drummondville et Victoriaville.

Il ne faut évidemment pas comparer des pommes avec des carottes, mais la Ville de Montréal consacre 10,3 % de son budget de 6,9 milliards à la culture et aux loisirs.

Ce n’est pas la première fois que le secteur des loisirs et de la culture est particulièrement favorisé à Trois-Rivières. L’an dernier, la pointe de tarte représentant ce secteur (17,7 %) était prépondérante.

Outre les bibliothèques et les musées, l’argent alloué à la culture profite à deux entités qui ratissent large à Trois-Rivières : la Corporation des évènements de Trois-Rivières (11,5 millions), qui gère notamment l’Amphithéâtre Cogeco et les Délices d’automne, et Culture Trois-Rivières (9,5 millions), responsable de la salle J.-Antonio-Thompson, de la maison de la culture et du théâtre du cégep.

Il faut savoir que le modèle mis de l’avant à Trois-Rivières est assez unique. En créant ces deux organismes paramunicipaux, la Ville a pris le contrôle de son industrie culturelle. Elle investit dans la vie culturelle, mais elle reçoit aussi les dividendes qui en découlent.

Si on déduit des 21 millions alloués à ces deux structures les revenus qu’elles rapportent chaque année, le coût net serait plutôt de 6,6 millions, selon la Ville. Et cela fait abstraction des retombées économiques engendrées par ces évènements.

Je me souviens de mon passage à Trois-Rivières pour assister à une représentation d’Harmonium symphonique à l’Amphithéâtre Cogeco. Les terrasses de la rue des Forges étaient toutes bondées.

L’économie de Trois-Rivières a longtemps reposé sur l’industrie des pâtes et papiers. « Au début des années 2000, après les fusions, il y a eu une période très difficile, explique Mikaël Morissette, porte-parole de la Ville. Le taux de chômage a monté, la valeur des maisons était moindre qu’ailleurs. Les salaires étaient plus bas. Il y a une douzaine d’années, ça a redémarré. »

Ironiquement, le projet de l’Amphithéâtre a été créé sur le site d’une ancienne usine de pâtes et papiers. « C’est comme si on tournait la page sur un ancien modèle économique, renouvelé par un projet culturel innovateur », reprend Mikaël Morissette.

À une époque où les services primaires (déneigement des trottoirs, entretien des rues) et les défis sociaux (itinérance, logement) font partie de la réalité de toutes les grandes villes du Québec, le choix d’investir massivement dans la culture et dans des organisations qui offrent un bien-être physique et moral aux citoyens demeure un geste que je qualifierais de courageux et de marginal.

N’allez toutefois pas croire que la vision de l’administration du maire Jean Lamarche (absent durant six mois pour cause de maladie) fait le bonheur de tous les citoyens. L’un d’entre eux a récemment publié une lettre teintée d’ironie dans Le Nouvelliste dans laquelle il souligne la trop grande importance du budget accordé à la culture.

« Dites-vous que vous ne pourriez jamais trouver au Canada, un autre endroit qui a misé autant sur l’ère du carnavalesque, du désennui et de l’amusoire. Un genre de mardi-gras permanent sans lequel d’ailleurs, aux dires de nos dirigeants, nous ne serions même pas sur la map », écrivait-il.

Comme dans plusieurs autres municipalités du Québec, tout n’est pas qu’un long fleuve tranquille à Trois-Rivières. À titre d’exemple, le projet d’agrandissement du parc industriel appelé Carrefour 40-55 suscite l’ire des écologistes et crée une grande division au sein des résidants et des conseillers. Certaines assemblées ont été houleuses.

Même des artistes prennent part au débat. Invité au FestiVoix de Trois-Rivières en juillet dernier, le groupe punk Vulgaires Machins a lancé un message clair aux spectateurs durant son spectacle : « Pas un hectare de plus [le slogan des écologistes], gang de ta****** », a scandé le chanteur Guillaume Beauregard, visiblement préoccupé par la destruction d’hectares de terrain prévue dans le projet.

Investir dans la culture sert aussi à cela : accueillir des artistes qui vont chauffer les oreilles des élus. Ne serait-ce que pour cela, cette vision est louable !