Les premiers concerts d’orchestre auxquels j’ai assisté, jeune adolescente, étaient dirigés par un chef afro-américain, l’excellent et charismatique James DePriest, directeur musical de l’Orchestre symphonique de Québec de 1976 à 1983.

À mes yeux, ce n’était pas exceptionnel qu’un chef noir dirige l’orchestre de ma ville ; c’était simplement la réalité. Et on aimait monsieur DePriest.

C’est plus tard que j’ai compris avec stupéfaction à quel point sa présence était l’exception à la règle et à quel point il restait du chemin à faire pour que la musique de concert soit moins blanche⁠1.

Quarante ans plus tard, il semble que ce chemin ait encore besoin d’être consolidé.

C’est le constat duquel sont partis le contrebassiste Brandyn Lewis et son amoureuse, la gestionnaire culturelle Allison Migeon. La pandémie leur a donné le temps de rêver… et d’agir en créant l’Ensemble Obiora, premier ensemble canadien constitué essentiellement de musiciens issus de la diversité, maintenant en résidence à l’UQAM.

Contrebassiste surnuméraire à l’Orchestre symphonique de Montréal, Brandyn Lewis a rapidement obtenu le soutien de Rafael Payare ; deux années de suite, Obiora s’est produit sous la direction du chef vénézuélien dans le cadre de la Virée classique. Le concert de la plus récente édition a fait salle comble. « C’était extraordinaire, et les administrateurs de l’orchestre ont été impressionnés d’y voir un public de toutes les origines », raconte Brandyn Lewis. « Rafael Payare s’est immédiatement attaché à Obiora, parce qu’il vient lui-même d’El Sistema », ce programme social qui propose la musique comme projet mobilisateur aux enfants de milieux vulnérables. Ouvrir la porte à des jeunes qui ne s’identifient pas du tout à la musique de concert : voilà ce qu’El Sistema et Obiora ont en commun.

Dans bien des quartiers de Montréal, la musique de concert n’existe pas, Brandyn Lewis en est conscient. « Les jeunes ne se sentent pas concernés, simplement parce qu’ils n’y ont pas accès. Obiora a fait des ateliers à Montréal-Nord, on a présenté un concert à la Maison d’Haïti : ça marche très bien, beaucoup de familles se présentent, on voit des enfants qui dirigent dans les airs ! »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Brandyn Lewis

Brandyn Lewis reconnaît volontiers que le milieu musical canadien est de plus en plus ouvert à la diversité, mais il parle des préjugés qui restent à déconstruire dans la population. « On nous associe à la musique du monde, on tient pour acquis que nous sommes des immigrants récents ou des musiciens amateurs. »

Tout ça était partiellement vrai dans sa famille… une génération plus tôt ! Brandyn a grandi à Notre-Dame-de-Grâce, dans une famille jamaïcaine : le père est guitariste, pratique le gospel autant que le reggae, les femmes chantent.

« Je n’étais pas très intéressé par l’église, avoue Brandyn, mais par la musique, oui ! Au départ, je jouais un peu de batterie, j’étais bien loin de la musique classique. Mais à l’école FACE, j’ai fait du violoncelle, pour ensuite passer à la contrebasse en 5e année du primaire. » Il a continué sa formation au Conservatoire de Montréal et à l’Université McGill. En 2021, CBC le plaçait sur sa liste annuelle de 30 hot Canadian classical musicians under 30, entre autres pour souligner la création d’Obiora.

Le concert d’ouverture de la première saison officielle de l’ensemble, ce samedi, sera dirigé par le jeune chef français Samy Rachid, nommé en février chef adjoint à l’Orchestre symphonique de Boston. Il remplace la jeune cheffe vénézuélienne Glass Marcano qui s’est désistée mardi pour des raisons personnelles. Marcano, comme son compatriote Rafael Payare, est issue d’El Sistema et on attendait avec intérêt ses débuts au Canada.

L’orchestre Chineke !, qu’elle dirige dans cet extrait, compte beaucoup pour Brandyn Lewis : « La fondatrice du Chineke !, Chi-Chi Nwanoku, a été une inspiration énorme pour la création de l’Ensemble Obiora, explique-t-il. Quand je regarde son travail sur la diversité culturelle, depuis 2015 en Angleterre, je suis émerveillé de voir tous ces musiciens qui jouent à un si haut niveau. En plus, ils proposent des œuvres de compositeurs noirs dont je n’avais jamais entendu parler. Pour être honnête, j’aurais adoré faire partie de cet orchestre, alors je me suis demandé pourquoi un tel projet n’existait pas au Canada. »

C’est maintenant fait ! L’Ensemble Obiora est fondé sur le principe des 3D : Diversité, Découverte (musique de compositeurs et compositrices méconnus), Diffusion (faire partager dans des contextes variés).

Il me reste une question pour Brandyn : la mission d’Obiora est de réunir des musiciens « dits de la diversité ». Mais quels sont les critères ? Le musicien commence sa réponse par un soupir : « C’est une bonne question… Je dirais qu’on veut avant tout réunir des musiciens d’origine non européenne, qu’on associe moins directement à la musique classique. Mais ce n’est pas du tout exclusif : des musiciens blancs d’ici viennent d’ailleurs compléter nos effectifs, au besoin. »

Pour les membres de l’ensemble, des professionnels dont plusieurs occupent des chaises dans de grands orchestres canadiens, Obiora n’est pas une pige comme les autres : « Il y a une énergie différente : on est tous conscients de l’importance de la mission, tous donnent généreusement, jouent avec âme, s’impliquent de A à Z », conclut Brandyn Lewis.

Consultez le site de l’Ensemble Obiora pour le concert d’ouverture Réservez vos billets pour un spectacle le 10 décembre 1. Lisez l’article « Musique si blanche… »