Il y a des émissions que je dois regarder pour mon travail qui me donnent le goût de m’ouvrir la boîte crânienne avec une barre à clous.

C’est assez rare, heureusement, car a) je commencerais à ressembler au monstre de Frankenstein après autant d’années de lobotomies mal cicatrisées et b) les réseaux produisent beaucoup moins de trucs archimauvais, qui font passer Les moments parfaits ou Hôtel pour des chefs-d’œuvre.

Il y a aussi des émissions géniales qui me redonnent le goût de saisir le jour et de laisser la vie suivre son cours. C’est le cas de Succession, dont la quatrième saison démarre dimanche à 21 h sur Crave et Super Écran, en français et en anglais.

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Brian Cox, paternel exécrable de Succession

C’est probablement ce qui se fabrique de plus brillant, de plus cynique et de plus drôle et grinçant à la télévision américaine en ce moment. J’adore cette riche famille dysfonctionnelle qui s’entredéchire pour le contrôle d’un empire médiatique en jetant des milliards sur la table comme s’il s’agissait de vulgaires sous noirs. Tu veux 8 milliards pour ton entreprise ? Je t’en donne 10, tiens !

Cette quatrième saison de Succession sera la dernière (c’est terrible, je sais) et on sent l’empire du titan Logan Roy sur le point de s’effondrer, après des années de trahisons spectaculaires et de vicieux coups fourrés.

Le premier épisode, hyper bien ficelé, reprend quelques mois après la finale du troisième chapitre, où les trois plus jeunes enfants de Logan Roy, soit Shiv, Roman et Kendall, subissaient une humiliation de plus, gracieuseté de leur tyrannique paternel.

Le personnage du patriarche Logan Roy, sorte de Rupert Murdoch qui utilise le mot « fuck » dans toutes les déclinaisons imaginables, est extraordinaire. Il traite ses enfants de crisses de rats, il trahit ses alliés plus souvent que Coco Belliveau à Big Brother Célébrités, il négocie à la scie tronçonneuse, mais espère encore que sa progéniture lui téléphone pour son anniversaire. Bonjour les paradoxes.

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Sarah Snook, Alan Ruck, Brian Cox, Jeremy Strong et Kieran Culkin sont les principaux comédiens de Succession.

De leur côté, Connor, Kendall, Shiv et Roman détestent copieusement leur papa influent, qui les méprise depuis leur naissance, mais cherchent désespérément son approbation et son respect, ce qu’ils n’obtiendront jamais.

C’est tordu de même et c’est ça, le génie de Succession. Des gens friqués, pas super compétents et en carence affective qui s’insultent, s’utilisent et se ridiculisent.

C’est à la fois très nono, grâce notamment aux deux nigauds Tom et le cousin Greg, qui se surnomment dorénavant les « frères dégoûtants », et très cérébral, notamment pour tout le volet « affaires » de la série.

Les personnages de Succession parlent (abondamment) d’acquisitions de conglomérats médiatiques ou de sociétés d’investissement et ce ne sont pas tant les détails techniques qui nous intéressent, mais la façon ratoureuse dont les transactions s’opèrent dans les coulisses.

Dans Succession 4, Shiv, Roman et Kendall travaillent main dans la main pour lancer The Hundred, un nouveau média que Kendall décrit comme un amalgame de Substack, du magazine The New Yorker et The Economist.

Ce projet numérique ne les excite pas tellement et quand une occasion de vengeance s’offre à eux, ils sortent les crocs et visent la jugulaire de leur père.

Dans le camp opposé, le vieux Logan Roy finalise la vente de son empire Waystar au milliardaire Lukas Matsson, fondateur de la plateforme GoJo. Il reste 48 heures avant la signature des contrats. Les fans de Succession – nous sommes nombreux ! – savent que cette période cruciale regorge toujours de revirements de dernière minute et d’appels chaotiques en mode « mains libres ». Et ça ne change pas, pour notre plus grand plaisir sadique.

Le quatrième chapitre de Succession remet également au premier plan la famille Pierce, qui a failli être avalée par Waystar dans la deuxième saison. Souvenez-vous. Les Roy, très conservateurs, passaient le week-end chez les Pierce, plus libéraux, dans un festival du malaise inégalé. C’était savoureux.

Deux ans plus tard, la matriarche Nan Pierce, toujours épaulée par sa cousine Naomi (l’ex-copine de Kendall), serait-elle prête à enfin vendre sa station de télévision et ses journaux à son ennemi juré ?

Vous vous doutez sûrement que le couple de Tom et Shiv bat de l’aile. C’est Tom qui avait planté le dernier couteau dans le dos de Shiv lors de la finale saisissante de la troisième saison.

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Sarah Snook et Matthew Macfadyen incarnent Shiv et Tom.

Autour du bougon Logan, on retrouve les habituels Gerri, Karl et Frank, mais surtout Kerry, l’adjointe à tout faire qui prend du galon et de l’importance dans l’histoire. Elle est surprenante.

Succession, c’est du Shakespeare chez le 1 % du 1 %.

Les dialogues déboulent à une vitesse folle, les affronts s’empilent, Connor fait pitié dans son éternelle course à la présidence américaine et Kendall déverse un flot de mots compliqués qu’il ne maîtrise pas.

Il y a toujours un personnage qui porte une casquette unie et un pull foncé avec une fermeture éclair.

C’est tout ça, Succession. Et c’est fucking bon, ou @#%$ bon pour les lecteurs allergiques aux sacres.