Les chanteuses à voix, ça n’a jamais été mon truc. Je préfère les voix rauques, nasillardes, gémissantes, fluettes ou gueulardes, bref, les voix étranges et uniques, plutôt que de me faire péter le tympan par des interprètes qui tiennent interminablement une note au micro sans respirer, comme si leur carrière était un éternel concours. Aussi ai-je trouvé très intéressant le palmarès des 200 meilleurs chanteurs et chanteuses de tous les temps du magazine Rolling Stone.

Mais je comprends tout à fait l’indignation face à l’absence de Céline Dion dans cette liste. Plus que ça : je l’ai ressentie. Mon cher collègue Patrick Lagacé a écrit une chronique savoureusement ironique sur cette colère collective. Mais je dois insister : ce n’est pas drôle, Patrick, même au deuxième degré. C’est un outrage ! Et là-dessus, je suis d’accord avec toi qu’en plein mois de janvier sans lumière, après les excès des Fêtes, c’est dur sur le foie.

Si Whitney Houston, l’incarnation même de la chanteuse à voix qui a fait souffrir mon nerf auditif pendant des décennies avec I Will Always Love You, arrive deuxième dans ce palmarès, il n’est pas possible que Céline n’apparaisse pas dans ce répertoire de 200 noms, même pas à la 200position.

Parce qu’elle est québécoise ? Difficile de ne pas recevoir ça de façon personnelle. En tout cas, ça ressemble à un exercice entre happy fews qui sont bien contents d’écarter le vilain petit canard.

Bien sûr, il y a la guerre, l’inflation, le réchauffement climatique, en plus de tout ce manque de tendre et qu’il n’y a plus d’Amérique (comme le chantait Brel, qui ne figure pas au palmarès lui non plus), mais ça n’a pas de bon sens que Céline soit ignorée ainsi. Pardonnez le blasphème, mais Jesus Christ, Céline, c’est « la voix du Bon Dieu » ! Peu importe où vous voyagez dans le monde, vous allez l’entendre quelque part. Même dans le fond de la campagne haïtienne, je n’ai pas pu lui échapper.

Je n’aimais pas Céline quand j’étais ado, et ça m’a pris au moins deux nouvelles générations d’admirateurs qui l’adorent (et quelques soirées de karaoké) pour m’incliner humblement devant son triomphe planétaire. Il n’est pas question que je revienne en arrière.

Plus sérieusement, cette claque sur la gueule est arrivée peu de temps après que Céline a annoncé qu’elle devait mettre sa carrière en veilleuse parce qu’elle est atteinte d’une maladie neurologique très rare, le syndrome de Moersch-Woltman. Je ne sais pas pour vous, mais moi, ça m’a fiché un coup de déprime, et c’est comme si le palmarès du Rolling Stone venait ajouter l’insulte à la blessure. Comme bien des gens, je me demandais ce qui lui arrivait, que cachaient ce silence et ces reports répétés de spectacles. Son message sur Instagram m’a fendu le cœur. Se pourrait-il qu’elle ne remonte plus jamais sur scène ? Un monde dans lequel Céline ne s’éclate pas en show, n’expose pas sa garde-robe flyée et n’accorde pas d’entrevues délirantes ne peut être qu’un monde plate, selon moi.

Je ne calcule plus le nombre de fois que les envolées médiatiques de Céline m’ont sortie de la grisaille et que ses chansons, finalement, m’ont réjouie.

De plus, alors qu’on s’inquiète du désintérêt des jeunes pour la culture québécoise, elle est celle qui transporte aux quatre coins du monde cet accent et cette attitude débonnaire propres à ce territoire – la manifestation encouragée par Julie Snyder devant les bureaux du Rolling Stone à New York cette semaine en est une preuve supplémentaire. Entendre Céline dire à un animateur français qui soulignait son accent « tu vas t’habituer, mon pit ! », c’était jouissif, je trouve.

Et elle aurait mené cette carrière flamboyante en anglais pour être snobée dans ce pays où elle a généré des millions de dollars et soutenu des milliers d’emplois à Las Vegas, en plus de battre je ne sais combien de records ? Par Céline interposée, on se sent quasiment comme Ovide Plouffe, qui trouvait qu’il n’avait pas de place dans le monde entier.

Je le dis sans ironie (et je m’étonne moi-même) : Céline me manque. Comme elle manque à ce palmarès des 200 meilleurs chanteurs et chanteuses de tous les temps.