Le premier épisode de la comédie grinçante Le bonheur 2 s’amorce pendant l’enregistrement d’un talk-show fictif de fin de soirée, un croisement entre La semaine des 4 Julie et Bonsoir, bonsoir.

L’animateur à la fois exalté et niais (Iannicko N’Doua) accueille l’ex-professeur et star du web François Plante (Michel Charette) et l’invite à flipper un bureau, exactement comme dans la vidéo virale qui a été filmée l’an dernier dans sa classe.

Encouragé par la foule, François hésite, mais se retient. L’animateur le crinque en invitant sur le plateau deux « personnages » unidimensionnels que François déteste : la féministe sèche (Rose-Anne Déry) et le bien-pensant (Alex Bisping).

La féministe sèche refuse de « mouiller de la vulve pour les hommes, parce que c’est un signe de soumission ». Le bien-pensant jette, pêle-mêle, un paquet d’expressions à la mode, comme homme blanc, privilège et inclusion.

François explose d’abord au visage du bien-pensant : « À quoi tu sers, crisse ? Tu te valorises juste en détestant les affaires que le monde aime. Comme si t’étais au-dessus de ça, la plèbe », crache François, le visage cramoisi, la perle de sueur au front.

Dans la foule électrisée, les spectateurs confient spontanément leurs traumatismes dans un festival du ressenti, un concert du je-me-moi à l’état pur où personne ne s’écoute. Je fais tellement pitié. Non, moi plus ! Euh non, moi tellement plus ! C’est la cacophonie en studio, François craque et livre à l’animateur ce qu’il désirait tant : un flip de table qui enflammera – de nouveau – les réseaux sociaux.

Si la première saison du Bonheur à TVA a heurté quelques sensibilités, la deuxième, qui commence ce mercredi à 21 h 30, atomisera ce qui reste de susceptibilités au Québec.

« On a eu plus de liberté cette saison-ci. Les téléspectateurs n’ont pas été tant choqués par les dix premiers épisodes et il n’y a pas vraiment eu de controverse. Et nous, comme auteurs, nous n’étions pas allés aussi loin que l’on aurait souhaité », m’explique François Avard, qui cosigne Le bonheur avec son camarade Daniel Gagnon (Les Parent).

J’ai vu le premier épisode du Bonheur, que j’ai beaucoup aimé et, effectivement, les deux scénaristes ne ménagent personne et tirent partout : les quotas des producteurs laitiers, les syndicats qui se sacrent des stagiaires, les profs menottés par le système et la surconsommation en général.

Quand François et sa conjointe Mélanie (Sandrine Bisson) hésitent devant le prix exorbitant d’un spa pour leur nouveau gîte touristique, le vendeur (joué par Louis-David Morasse) leur répond que « c’est fini, le temps où on dépensait l’argent qu’on avait, il n’y a plus personne qui fait ça de nos jours ». Tout le monde passe au crédit !

Non, Le bonheur ne sert pas que de véhicule antiwoke pour ridiculiser la gogauche et ses militants fragiles. François Avard et Daniel Gagnon mitraillent tout ce qui les horripile. « On parle de mes aigreurs, de celles de mon coauteur, de tout ce qui nous fait chier, tout ce qui nous désespère et tout ce qui nous met en tabarouette, pour ne pas employer un autre mot », précise François Avard en entrevue.

Et qu’est-ce qui énerve François Avard ces temps-ci ? L’individualisme, le désenchantement généralisé, le je-m’en-foutisme de tout le monde.

On tourne à vide, on ne crée plus rien comme société.

François Avard

Même s’il pratique un humour très noir et hyper cynique, François Avard n’est pas quelqu’un d’aigri ou de fâché en permanence. En entrevue, il s’exprime calmement et ne loge dans aucune des extrémités du spectre gauche-droite. C’est quelqu’un de fort agréable à interviewer, qui prône le gros bon sens, eh oui, un tel principe existe encore dans notre monde polarisé à l’extrême.

Dans ses textes, c’est une tout autre histoire. François Avard pèse fort sur le clavier et ne renie pas le gag vulgaire – et efficace, disons-le – comme à l’époque des Bougon. Il provoque et s’aventure sur le terrain miné des « choses qui ne se disent pas ».

Le bonheur 2 célébrera ainsi la sortie de prison du curé pédophile (Patrick Goyette) de Saint-Bernard-du-Lac, un homme très impliqué dans sa communauté. « Quoi ? Il a payé sa dette à la société et il s’est excusé. C’est lui qui s’occupait des scouts et du baseball mineur », ironise François Avard.

Avec son beau-père complotiste Jocelyn (Guillaume Cyr), François participera à un camp de survivalistes, où il s’adonnera, sans blague, au cannibalisme. La cuvette-fermette transformée en auberge champêtre n’accueillera qu’un seul client (Martin Larocque), un homme bizarre en amour avec une poupée en silicone grandeur nature. Et attendez de voir où et comment ce client particulier lavera les parties intimes de sa douce moitié gonflée.

Ça défoule de regarder Le bonheur, parce que ses créateurs s’attaquent au « politiquement correct » qui paralyse trop souvent la télé québécoise, allergique à la polémique.

Le bonheur est baveux, mordant et tonitruant. Le bonheur prouve que le public ne crie pas « espace sûr » à la moindre réplique corrosive.