Par un dimanche matin de novembre, j’ai vécu une expérience pour le moins unique. En compagnie de centaines d’enfants et de leurs parents, j’ai assisté à un concert de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) destiné à initier les bouts de chou à la musique classique.

Vous me direz que ça fait des lustres que l’on fait ça. Mais celui-ci était particulier en ce sens qu’il réunissait des enfants neuro-atypiques dont plusieurs vivent avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA). C’est la première fois que l’OSM tenait un tel évènement dans sa salle de concert (le jeudi précédent, le même concert avait été présenté à des enfants du milieu scolaire).

Cette expérience, joliment baptisée OSMose, est le fruit de plusieurs années de préparation. En fait, elle est née de l’observation d’une musicothérapeute de l’école Saint-Étienne, Nathalie Leroux, qui trouvait que les concerts jeunesse de l’OSM étaient formidables, mais qu’ils n’étaient pas adaptés à la réalité des enfants souffrant d’un TSA, de troubles d’attention ou d’une déficience quelconque.

Ce n’est pas évident d’amener un enfant neuro-atypique dans un environnement où les codes sont très stricts quant au silence et à la tenue.

Et s’il y a un domaine où c’est le cas, c’est bien celui de la musique classique. Alors, comment offrir l’expérience d’un concert aux enfants neuro-atypiques tout en apaisant leurs craintes et leurs angoisses ?

Mélanie Moura, chef de la programmation jeunesse et de la médiation à l’OSM, s’est attelée à cette tâche. Elle est d’abord allée voir comment certains orchestres d’Ottawa et de Toronto offrent ce qu’on appelle des « concerts décontractés », ou des « performances relaxes ». Elle a ensuite consulté des professionnels qui ont une expertise avec les enfants ayant des besoins particuliers.

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Le format des concerts sont adaptés à la réalité des enfants vivant avec un TSA.

En 2018, un premier concert a eu lieu avec les musiciens de l’OSM dans un contexte scolaire. Mais comme le but ultime est d’amener l’enfant à vivre cette expérience intramuros, c’est-à-dire à la Maison symphonique, on a décidé de faire le grand saut.

« L’idée était d’aider les enfants, mais aussi ceux qui les entourent, à franchir des caps », explique Mélanie Moura. Il est important de souligner que l’équipe de l’OSM a imaginé cet évènement en fonction des enfants qui ont des besoins particuliers, mais également des enfants neurotypiques. Il était important de conserver l’aspect inclusif dans tout cela.

Si le contenu du programme ressemble à celui des autres concerts jeunesse offerts par l’OSM, le cadre est très différent. Une luminosité est maintenue dans la salle durant tout le concert, les portes demeurent ouvertes, des « salles d’apaisement » équipées de coussins sont créées à chaque étage et, au centre de la salle, un grand tapis est disposé afin de permettre aux enfants qui souhaitent bouger ou danser de le faire. À l’entrée de la salle, des coquilles antibruit sont remises aux enfants qui craignent les sons brutaux.

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Des coquilles antibruit sont fournies aux enfants pour qui les sons peuvent être agressants.

C’était fascinant de découvrir les mille et un détails qui accompagnaient cet évènement. Par exemple, sur le site de l’OSM, on a publié un guide d’accès qui expliquait à l’enfant à quoi ressemblait le parcours qu’il allait faire pour se rendre à la Maison symphonique, selon qu'il venait en métro ou dans la voiture familiale.

Le but de cette expérience est d’amener l’enfant à découvrir la musique classique dans son cadre afin de lui donner le goût de revenir plus tard. « On espère que son adaptabilité sera ensuite plus simple, reprend Mélanie Moura. Durant la préparation, on a eu l’idée de permettre aux enfants de boire et de manger. On a mis cette initiative de côté, car ce n’est pas quelque chose que l’enfant va retrouver plus tard. »

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Les enfants pouvaient s'exprimer librement, notamment par la danse ; toutefois, notre chroniqueur a été globalement surpris par la qualité de leur écoute.

Cette expérience a suscité l’attention de certains chercheurs, dont Cassiea Sim, étudiante au programme School/Applied Child Psychology de l’Université McGill. La jeune femme s’intéresse de près aux questions sociales entourant les enfants autistes. « En tant que personne autiste moi-même, je suis consciente que nous percevons le monde différemment. La question de l’inclusion est donc au cœur de mes préoccupations. »

Cassiea Sim a profité du concert pour mener un sondage qui devrait lui permettre de mieux comprendre comment cette expérience a été reçue, tant par le milieu scolaire que par le grand public venu le dimanche matin.

Ce dimanche matin de novembre, j’ai vu des enfants souriants, enjoués. Certains étaient sans doute un peu anxieux, mais ils étaient surtout très curieux.

Je pense à ce petit bonhomme qui allait vers tout le monde afin de savoir si Rafael (il utilisait seulement son prénom) serait là.

C’est plutôt Thomas Le Duc Moreau qui a dirigé l’orchestre dans de courts extraits d’œuvres de Prokofiev, Grieg, Saint-Saëns, Beethoven et plusieurs autres. Nul besoin de vous dire que le thème d’Harry Potter, de John Williams, a été le clou du concert.

Chaque section de l’orchestre était identifiée par une couleur de t-shirt que portaient les musiciens. Orange pour les percussions, bleu pour les cuivres, vert pour les bois et mauve pour les cordes.

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Afin de favoriser l’attention des enfants, les musiciens de l’OSM avaient revêtu des t-shirts de différentes couleurs, qui permettaient de distinguer en un seul coup d’œil les diverses sections de l’orchestre.

Charles Lafortune, dont l’engagement au sein de la Fondation Autiste & majeur est aussi sincère que soutenu, animait le concert. Un personnage surnommé Octave apparaissait sur un écran pour soumettre des questions aux enfants. Le metteur en scène Michel-Maxime Legault avait même prévu deux professeures de danse pour nous faire bouger un peu.

Bien sûr que ça piaillait, que ça gesticulait et que ça chignait un peu, mais tout cela n’était pas très grave pour les adultes ni pour les musiciens. En fait, j’ai été plutôt surpris de la qualité d’écoute.

Durant le concert, j’ai beaucoup observé les parents, les grands-parents, les parrains et les marraines qui avaient emmené un enfant. Je n’ai vu aucune trace de stress sur leur visage. Pour une fois, personne ne vivait la foutue crainte que son enfant dérange tout le monde.

L’OSM souhaite ramener cette formule la saison prochaine. On m’a aussi dit que des éléments de l’expérience OSMose allaient être intégrés aux concerts jeunesse habituels.

À la fin du concert, Charles Lafortune a dit aux adultes présents : « Très souvent, on a l’impression de rouler sur la voie de service. Ce matin, nous étions tous ensemble sur l’autoroute. » C’est là que les enfants et les parents ont entonné Ode à la joie avec les musiciens.

Ça valait bien ça !

Consultez la programmation de l’OSM pour les Concerts OSMose