La nuit de la veille de Noël est décédée, à l’âge de 98 ans, Claire Gagnier, ma grand-maman.

Soprano montréalaise qui fut jadis une star au Québec, elle rayonna au Canada et aux États-Unis à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Surnommée le « rossignol canadien », elle fut l’une des chanteuses les plus appréciées et acclamées du public d’ici grâce à la maîtrise de son art et son charme, tel que rapporté dans les articles parus dans les journaux d’autrefois.

La plupart des gens de sa génération à qui je parlais de ma grand-mère, peu importe le statut social, connaissaient son nom, à mon grand étonnement. Il faut dire qu’à l’époque, on s’assoyait deux heures et demie devant la télévision pour regarder un opéra de Puccini le dimanche soir.

Après avoir remporté le premier prix du concours « Singing Stars of Tomorrow » en 1944 à la radio anglophone de la Société Radio-Canada (SRC), une bourse lui permet d’aller étudier le chant classique à la Juilliard School de New York. À l’âge de 20 ans, elle part en tournée transcanadienne dans les salles de concert du pays, accompagnée de sa mère.

Elle a participé à de nombreux opéras sur scène, ainsi qu’à la radio et à la télévision de la SRC, incarnant notamment Mimi dans La Bohème et jouant dans Madame Butterfly de Puccini. Elle aura même participé au dernier opéra (Faust de Gounod) diffusé en direct de Radio-Canada en 1972.

On l’aura vue sur scène, tantôt avec la troupe du Metropolitan Opera de New York, tantôt à Carnegie Hall, ainsi qu’aux côtés des grands musiciens québécois de son époque, notamment Wilfrid Pelletier, les chanteurs Richard Verreau et Léopold Simoneau.

Même le compositeur André Mathieu était venu pianoter chez elle un après-midi, en lui remettant une composition manuscrite. Il lui avait ensuite demandé 5 $ pour retourner chez lui en taxi. Elle regretterait de ne pas avoir été plus généreuse, réalisant trop tard que ce génie musical n’avait pas un sou.

Ma grand-mère appartenait à l’une des familles québécoises qui aura marqué l’essor de la musique classique au Québec.

À ma connaissance, elle représente le dernier maillon de la tradition musicale inégalée des Gagnier. C’est son grand-père clarinettiste, Joseph Gagnier, qui fut le maestro de cette généalogie. Il aura enseigné plusieurs instruments de musique à chacun de ses 27 enfants, constituant ainsi ce qu’on appela l’Orchestre Gagnier.

Parmi eux, deux femmes et sept hommes, dont le père de ma grand-mère, René Gagnier, violoniste, rejoindront l’Orchestre symphonique de Montréal en 1934 ainsi que d’innombrables autres orchestres, quintettes et quatuors aujourd’hui disparus.

Pour vous donner une idée, l’oncle de ma grand-mère, Jean-Josaphat Gagnier, était chef d’orchestre, bassoniste, clarinettiste, pianiste, compositeur et directeur musical de Radio-Canada. Le père d’André Mathieu, Rodolphe Mathieu, accompagnait au piano le quatuor à cordes dont faisait partie le père de ma grand-mère.

PHOTO FOURNIE PAR L’AUTEUR

Claire Gagnier à l'émission À la claire fontaine (SRC), où elle était à la fois l'animatrice et la vedette principale

Je tenais ainsi à honorer la mémoire de sa longue carrière musicale, aujourd’hui un peu tombée dans l’oubli. Je salue sa quête d’excellence, sa rigueur et l’amour de la musique qu’elle nous a transmis, elle qui répétait depuis son plus jeune âge, d’abord au violon puis au chant, avec un père doté de l’oreille absolue que j’imaginais aimant mais exigeant. Elle aura aussi brillé par son féminisme, évoluant dans le monde très masculin de la musique classique de l’époque.

Malgré ses manières raffinées de diva, ma grand-mère impressionnait par son intelligence, sa culture et son sens de l’humour ironique.

Tant sur la scène que dans sa vie personnelle, elle aura eu la sagesse de ne pas toujours forcer la voix.

Cette voix que j’aurais tant aimé entendre une dernière fois.

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