Pauvres parents ! Non seulement vous devez vivre avec une multitude d’inquiétudes qui planent au-dessus des chérubins que vous avez engendrés, mais vous devez aussi composer avec ce fléau de notre siècle : l’attrait de la gloire !

Un enfant qui veut devenir une star, quelle catastrophe !

Au cours des dernières années, les fabriques à minivedettes se sont multipliées à vitesse grand V. L’une des plus flamboyantes est sans doute le concours Eurovision de la chanson junior dont la finale avait lieu dimanche, en Arménie.

Cette version juvénile de la mégacompétition de talents européenne s’adresse aux jeunes de 9 à 14 ans et rassemble des participants d’une quinzaine de pays. Cette année, c’est un Français de 13 ans, Lissandro, qui a remporté les honneurs. Il était déjà connu en France pour avoir participé à The Voice Kids, autre évènement de même acabit.

Lissandro s’est distingué avec Oh maman !, une chanson qui ne se retrouvera sûrement pas sur mes listes de lecture, mais qui devrait néanmoins trouver la voie du succès auprès d’un certain public. On dit que cette composition originale se situe entre le style de Bruno Mars et celui d’Elvis Presley, idole de Lissandro.

J’ai regardé la performance du jeune chanteur. C’est léché, c’est nickel, c’est big ! Mais tout cela suscite chez moi un profond malaise. Nous ne sommes pas en face d’un chanteur de 13 ans, mais d’un garçon qui se prend pour Johnny Hallyday et qui, dévoré par une ambition évidente, veut sauter par-dessus son adolescence afin de connaître la gloire au plus sacrant.

Nous sommes loin de l’inconscient petit Jordy et de sa fameuse chanson Dur dur d’être un bébé, énorme succès de 1992 qui lui a permis d’être au top 50 de la France pendant 15 semaines. Tiens, au sujet de Jordy : ses parents ont englouti les recettes de cette chanson dans un projet de parc de loisirs qui fut un fiasco. Dur dur d’avoir des parents mégalos !

Vous me direz que le phénomène des enfants vedettes et des concours de jeunes talents ne date pas d’hier. On n’a qu’à penser aux Talents Catelli ou à Judy Garland, Mickey Rooney et Shirley Temple. Chez nous, René Simard, bien avant Gérard Barbeau, fut le rossignol de toute une génération.

Ce qui a changé aujourd’hui, c’est l’ampleur de la chose. Eurovision junior est une gigantesque organisation qui confectionne des minivedettes (temporaires) à la chaîne. Et plus on assiste à ces pondaisons de talents, plus des millions de jeunes partout dans le monde veulent décrocher leur étoile.

Les spécialistes du monde de l’enfance nous le disent en chœur : les enfants deviennent des adolescents plus vite qu’autrefois. Déjà, à 10 ou 12 ans, ils cherchent à être comme les plus vieux, ceux qui ont 16 ou 17 ans. Les codes qui sont bons pour les grands le sont aussi pour les jeunots.

Et comme la « célébrité accessible à tous » est l’un des codes les plus répandus pour les jeunes grâce aux outils du monde numérique (en préparant cette chronique, je suis tombé sur un document s’adressant aux jeunes et portant le titre de Devenez acteur en 12 étapes), de nombreux enfants, préados ou ados succombent à l’appel de la gloire.

Si l’adulte qui veut devenir célèbre le fait pour le pouvoir et, dans bien des cas, l’argent, le jeune de 9 ou 12 ans qui vise le même objectif le fait dans le but de plaire ou de se distinguer des autres. C’est ce qui me dérange dans cette affaire : croire que la célébrité obtenue grâce à une chanson insipide fera de toi un être… différent.

Les parents qui accompagnent leur enfant dans cette aventure ont beau répéter qu’ils laissent toute la liberté à leur minivedette en herbe, je ne peux m’empêcher de me demander qui est celui qui vit réellement son rêve dans cette affaire : l’enfant ou le parent ?

On a tous en mémoire les documentaires sur les pathétiques concours de Mini Miss où des fillettes, grimées comme des femmes adultes, prennent la pose comme des caniches devant des juges, elles-mêmes d’anciennes Miss déchues.

Je regardais les images de l’Eurovision de la chanson junior et je pensais au sevrage que devront vivre ces jeunes vedettes. Les artistes adultes qui ont connu la gloire et qui s’en trouvent privés après des décennies comparent souvent ce vide au drogué qui n’a plus droit à ses doses quotidiennes. Imaginez comment cela est vécu par un jeune qui fait face au vide après seulement deux ou trois ans d’adulation du public.

La première chose que doit apprendre une jeune vedette, c’est qu’elle aura un public composé de jeunes, comme elle, qui grandiront vite, comme elle. Et un jour, ce public se débarrassera d’elle comme d’un vieux Kleenex.

Vous voyez comment tout cela est sordide.

Un truc me console toutefois, et c’est de voir qu’au Québec, on semble résister (pour le moment) à ces compétitions d’enfants. Le public maintient un mur entre les jeunes et l’appât de la célébrité hâtive. Souvenez-vous de La voix junior et de ses petits candidats que j’étais allé rencontrer dans un hôtel de Montréal lors des auditions.

Après deux saisons couronnées de succès, TVA a mystérieusement décidé de retirer l’émission à l’hiver 2018. Était-ce à cause de ce malaise dont je parlais au début de cette chronique ?

L’autre jour, je suis tombé sur un magazine à potins qui titrait « 35 enfants de vedettes québécoises qui suivent la trace de leurs parents ». Je me suis dit que c’était beaucoup d’enfants stars pour une petite société comme la nôtre. Mais je me suis aussi dit qu’au rythme où l’on produit des têtes d’affiche, les anonymes vont devenir rares, donc plus recherchés. Tenez-vous-le pour dit !