As-tu des potins ? C’tu vrai que ? As-tu entendu parler de (vedette #1) qui coucherait secrètement avec (vedette #2), la femme de (vedette #3) ?

Vous dire le nombre de fois où l’on me pose ces questions dans une semaine de travail, ça se compte sur les 12 doigts de 26 mains. Et ces cancans ou échos du showbiz québécois intéressent autant le journaliste d’enquête déterminé, la patronne respectée que le columnist adoré de ce journal que vous lisez avec avidité. D’ailleurs, petite primeur ici, Pierre Foglia a longtemps été le plus fouineux de toute la salle de rédaction de La Presse. Il adorait connaître les infos les plus croustillantes sur tout le monde, sa fiancée et sa sœur.

Tout bon journaliste politique, judiciaire ou sportif potine, bien oui, et le placotage est essentiel dans le débusquage d’infos exclusives. Nouvelle de dernière heure : les scoops ne se déposent pas à votre porte par magie, comme un colis d’Amazon. Il faut chercher la pépite, la valider, la polir, puis la publier, c’est la base du métier.

Elle-même une potineuse en sevrage, Véronique Cloutier se penche sur le commérage dans sa très bonne docusérie La machine à rumeurs, qui atterrira le mercredi 14 décembre dans la section Véro.TV de l’Extra de Tou.TV. Les trois épisodes d’une heure, que j’ai visionnés cette semaine, traverseront plus tard à la télé de Radio-Canada, comme Loto-Méno l’a fait au printemps. La date n’a pas été précisée.

L’angle adopté par l’animatrice est intéressant : les populaires sites web comme Monde de stars ou QC Scoop seraient-ils les héritiers des fameux « journaux jaunes » des années 1960 ?

Véronique Cloutier en jase avec deux vieux routiers d’Échos Vedettes et Télé-Radiomonde, Roger Sylvain et Érick Rémy, alias Monsieur Showbiz, ainsi que leurs versions 2,0 Simon Waddell de QC Scoop, Karl Hardy d’En vedette et l’influenceur Brendan Mikan, qui alimente ses propres réseaux sociaux.

Les échotiers de l’ancienne garde, que RBO a longtemps parodiés dans ses sketchs Les 2 bitches, ont évidemment plus de recul sur leur rôle et leur impact dans l’écosystème artistique. À l’époque, il fallait vendre de la copie, et aucun sujet n’était tabou : la perte de poids de Mireille Thibault, le nouveau cou de Michèle Richard et même des photos de célébrités prises dans leur cercueil, si, si, une spécialité de l’intrépide Roger Sylvain, qui a également immortalisé un collègue sidéen sur son lit de mort.

Aucun magazine hebdomadaire ne publierait ce type de reportage aujourd’hui. Contrairement aux féroces tabloïds britanniques, la presse artistique québécoise a perdu son côté scandaleux, ce qui explique l’explosion de popularité d’une page comme QC Scoop, qui ne se gêne pas pour mettre en ligne des renseignements sulfureux que tentent de cacher nos pipoles.

Au deuxième épisode, le meilleur des trois, Véronique Cloutier confronte Simon Waddell à propos des tactiques agressives de QC Scoop, notamment dans la saga romantico-familiale de la chanteuse Alicia Moffet et son copain Frédérick Robichaud d’Occupation double, qui a généré énormément de haine sur le web.

Comme le titrerait Monde de stars, qui repique systématiquement le contenu des autres médias : « Simon Waddell fait des révélations choquantes et vous n’en reviendrez juste pas ».

Coqueluche sur Instagram et TikTok, Brendan Mikan se spécialise dans le thé sur OD et ne s’en cache pas : oui, il aime brasser la cage et redresser les torts de vedettes dont les discours en public et en privé ne s’arriment pas. C’est le plus honnête et le plus intéressant des trois jeunes potineurs interviewés.

Au fil des trois heures de La machine à rumeurs, Véronique Cloutier confesse Chantal Pary, Josélito Michaud (ancien éditeur du Lundi) et Mario Pelchat sur leurs relations ambiguës avec les revues artistiques. Michèle Richard apparaît très souvent dans le montage des épisodes, elle qui a fait vendre le plus d’exemplaires d’Hebdo Vedettes et compagnie dans les 50 dernières années.

Avec l’animateur Jean-Sébastien Girard, Normand Brathwaite est un des rares à l’affirmer sans honte : « J’aime ça les potins, j’aime ça les raconter, même ceux sur moi », confie-t-il à Véronique Cloutier.

Le volet « vintage » de la docusérie m’a fasciné. Dans les années 1960 et 1970, Edward Rémy, fondateur d’Échos Vedettes et papa d’Érick Rémy, vivait six mois par année à Acapulco, la Côte d’Azur du Québec.

Tout le gratin québécois (Claude Blanchard, Denise Filiatrault, Dominique Michel, Tex Lecor) y faisait bronzette, fournissant du matériel en or à M. Rémy, qui remplissait ensuite des pages et des pages de son magazine avec des histoires loufoques comme « Michèle Richard : attaquée par un requin ».

Oui, ces journaux jaunes inventaient des histoires, dont le « faux » mariage entre Michèle Richard et Michel Louvain. Aujourd’hui, plusieurs publications québécoises permettent aux stars de relire les articles et de choisir elles-mêmes les photos avant l’impression. On est loin des paparazzi américains, mettons.

Selon le sociologue Jean-Philippe Warren, l’origine du verbe potiner remonte au XVIIe siècle, en Normandie. Pour se réchauffer pendant qu’elles filaient les soirs d’hiver, des couturières normandes déposaient une potine à leurs pieds, une sorte de bouillotte en terre cuite qui contenait des braises. En groupe, elles tricotaient et bavardaient à propos des habitants du village sans se geler les orteils, bref, elles potinaient.

Nous passons 50 minutes par jour à commérer, à placoter. Le potin n’a pas de classe sociale ou de sexe. Alors, arrêtez de vous mentir. C’est correct de mémérer. Et c’est normal de vouloir savoir que (vedette #4) a tellement reniflé de cocaïne qu’elle ne sent plus rien aujourd’hui.