Lorsque Catherine Régis réfléchit à la place grandissante que prend l’intelligence artificielle (IA), elle tient à rester entre l’enthousiasme et la peur. Chercheuse sur la réglementation de l’IA, la professeure à la faculté de droit de l’Université de Montréal nous explique sa vision.

Est-ce que l’intelligence artificielle vous effraie ou vous enthousiasme ?

On peut trouver des exemples de développements positifs et des risques réels dans plusieurs secteurs. Cette tension nous amène à réfléchir à comment gouverner avec cette technologie. Si on était juste dans un ou dans l’autre, on bannirait ou on laisserait aller les choses complètement, mais on demeure entre espoir et crainte. Il faut trouver la balance pour s’assurer que tous les espoirs en santé, en environnement et en éducation se concrétisent. En parallèle, il y a des risques pour nos institutions démocratiques, les droits des individus, l’accès aux services et le milieu financier.

Sur quoi portent vos travaux ?

Surtout sur l’encadrement de l’IA en santé pour s’assurer qu’on bénéficie de ces technologies d’une manière respectueuse des droits de la personne. J’ai différents projets de recherche qui s’intéressent aux niveaux de régulation les plus prometteurs à l’échelle provinciale, nationale et internationale.

Par exemple ?

Concrètement, les systèmes d’IA les plus sophistiqués, comme l’apprentissage machine et l’apprentissage profond, sont des technologies qui ne correspondent pas à un modèle statique. Avant d’approuver des médicaments, on avait toute la preuve que ça allait apporter tel effet, et on restait vigilant sur les risques. Maintenant, ces types d’IA évoluent en pratique. On ne peut plus les évaluer avant l’approbation pour le marché, car un cycle de vie complet vient avant. Donc, il faut changer nos processus réglementaires pour être capables d’adapter nos évaluations au départ et notre capacité à suivre cette technologie, à demander de la retirer au besoin ou qu’elle s’ajuste en cours de route.

À quoi ressemble votre quotidien ?

Je fais beaucoup de recherche en m’appuyant sur la littérature et j’ai une grande sensibilité aux impacts pratiques. Je participe à plusieurs comités internationaux de gouvernance et à des forums qui me permettent d’alimenter ma réflexion et de mieux comprendre les intérêts complexes en jeu pour tenter d’influencer ce qui se développe à mon échelle. Je travaille à la formation des acteurs gouvernementaux et de la fonction publique pour augmenter leur littératie numérique sur ces questions, afin de les amener à réfléchir aux pouvoirs qu’ils ont sur ces réalités.

Quelle direction prendra votre avenir professionnel ?

Mes travaux vont se concentrer sur la gouvernance mondiale de l’IA. Aucun pays ne peut affirmer avoir trouvé la solution et s’isoler du reste du monde pour régler le problème chez lui. On est extrêmement interdépendant, ce qui génère un niveau de complexité encore plus grand. Déjà, réglementer à l’échelle locale et nationale, c’est compliqué, car il y a de nombreuses tensions entre l’innovation et la protection des droits. À l’international, on multiplie la complexité par mille. Donc, on a besoin d’investir des ressources intellectuelles pour réfléchir à ce à quoi doit avoir l’air cette normativité internationale.