Le Québec compte une forte concentration de chercheurs en intelligence artificielle, dont certains de renommée mondiale. Pour transformer leurs recherches en solutions concrètes pour la société, il est essentiel d’établir un lien entre ces chercheurs de haut niveau et les entreprises locales. Comment ? Des acteurs de l’écosystème se prononcent.

L’arrimage du milieu de la recherche et de la communauté d’affaires est au cœur des questions de l’industrie. Pour Julien Billot, président-directeur général de Scale AI, la supergrappe d’intelligence artificielle (IA) au Canada, il n’y a pas 36 solutions à cet enjeu crucial.

« Si on veut que nos chercheurs de haut niveau travaillent au bénéfice de l’économie canadienne, il faut d’abord une demande forte des entreprises pour l’IA, estime-t-il. Il faut aussi des gens qui font le pont entre chercheurs et entreprises, comme Moov AI, IVADO Labs ou Videns Analytics. »

Ces entremetteurs ont pour mission d’incarner l’expertise des chercheurs dans des solutions opérationnelles et commercialisables. C’est pour cela que Julien Billot prend l’image du triangle pour représenter l’écosystème : les trois branches vont de pair.

IVADO Labs a d’ailleurs lancé dans les 18 derniers mois 86 projets concrets d’IA. « Presque la totalité, 90 %, atteindra l’étape de mise en production. On est à des années-lumière de ce qu’on voyait il y a cinq ans, où on parlait surtout de preuves de concept », souligne Frédéric Laurin, directeur sénior des partenariats au Mila, l’Institut québécois d’intelligence artificielle.

Dominic Danis, PDG et cofondateur de Moov AI, constate lui aussi une évolution des mentalités en entreprise. « À nos débuts, en 2018, on devait convaincre les dirigeants du bien-fondé de l’IA. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. »

Tous secteurs confondus

Si certains secteurs sont plus avancés que d’autres en matière d’adoption de l’intelligence artificielle (la finance, notamment), le sujet touche tous les domaines, de l’agriculture à la construction.

La santé, malgré son lot de contraintes, est l’un des secteurs où il y a eu le plus grand nombre de brevets déposés pour des applications d’IA.

Frédéric Laurin, directeur sénior des partenariats au Mila

Celui-ci donne en exemple Lucid, une entreprise qui marie intelligence artificielle et musique pour réduire l’anxiété des patients. Dans un autre champ, Druide Informatique, à qui l’on doit Antidote, intègre désormais l’apprentissage profond dans son logiciel. La petite entreprise québécoise Whale Seeker a également recours à l’IA pour faciliter la détection des mammifères marins.

Scale AI aide de son côté la multinationale McCain à surveiller ses pommes de terre, « de la patate à la frite », comme l’explique Julien Billot.

« À la traîne »

Difficile de savoir le nombre exact d’entreprises qui utilisent l’IA dans leurs opérations quotidiennes au Québec. « Le pourcentage est relativement bas, à environ 10 % », avance Frédéric Laurin.

Dominic Danis renchérit. « Le Québec est à la traîne. Il y a beaucoup de tests, mais les vraies solutions appliquées ne sont pas assez nombreuses. » Selon lui, le secteur manufacturier et la construction seront les prochains à embarquer dans l’aventure. « J’ai aussi grand espoir qu’on pourra aider des domaines d’impact, comme la santé, dans les prochaines années. »

En attendant cette révolution, Moov AI accompagne différentes sociétés dans la modernisation de leurs processus. « On fait la prédiction de la demande des produits périssables dans toutes les épiceries Metro au Québec, illustre Dominic Danis. Ça optimise la main-d’œuvre et réduit les pertes. » La nouvelle plateforme Ricardo+ fait également partie de ses réalisations.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Dominic Danis, président et cofondateur de Moov AI

On a fondé Moov AI pour démocratiser l’IA. Ça se passe de mieux en mieux. Il reste que le milieu universitaire doit mieux comprendre les besoins réels des entreprises.

Dominic Danis, PDG et cofondateur de Moov AI

La PDG du Mila rappelle qu’une solution d’IA demeure chère pour une entreprise si elle n’est pas toute faite. « C’est un investissement, admet Valérie Pisano. Les entreprises savent que la technologie a une valeur, mais elles ne savent pas trop par où commencer. »

Amélioration constante

L’experte s’inquiète de voir les autres pays investir plus rapidement que le Canada en infrastructures. « On est à risque de se retrouver à la merci des grandes compagnies pour avoir accès à l’infonuagique et à d’autres produits qu’on achètera aux géants de la Silicon Valley ou à Nvidia. Personne ne fera un ChatGPT au Canada, par exemple. »

Elle constate que depuis janvier, la planète entière s’est réveillée à la fois aux possibilités et aux défis de l’IA. « On est maintenant dans une course à l’IA. Ce sera de plus en plus difficile de conserver notre longueur d’avance. On ne peut pas s’asseoir sur nos acquis. »

Julien Billot abonde dans le même sens. « Les entreprises doivent saisir l’importance d’investir dès maintenant dans l’IA. Il ne faut pas perdre de temps, parce qu’à l’extérieur des frontières, on n’attend pas. »

L’IA en bref

  • Le Québec compte près de 45 000 professionnels en intelligence numérique, dont plus de 2200 très spécialisés.
  • De 2017 à 2021, les investissements en IA ont dépassé les 2 milliards de dollars.
  • Seulement 3,7 % des entreprises canadiennes utilisaient l’IA dans leurs activités en 2021.
  • À 5 %, le Québec était la province avec le niveau d’adoption de l’IA le plus élevé au pays.

Sources : Forum IA Québec, TechnoCompétences, Statistique Canada