Alors que des voix anti-ESG s’élèvent aux États-Unis, les entreprises d’ici adoptent de plus en plus des stratégies environnementales, sociales et de gouvernance, transformant au passage le travail des chefs de la direction financière, désormais chargés de mesurer le risque climatique ou l’inclusion, en plus de la rentabilité.

Bouchra M’Zali, professeure au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM), prédit un bel avenir aux normes ESG (environnemental, social et de gouvernance) au Québec malgré le débat qui fait rage chez nos voisins du Sud.

« C’est un courant bien ancré ici, remarque-t-elle. Il y a un noyau d’investisseurs qui a démontré que c’était important de prendre en compte les enjeux ESG. Et cette base s’est élargie lorsqu’on a réalisé qu’il y a des risques, notamment de boycottage, si on les ignore. »

Les entreprises ont elles aussi intégré les critères ESG dans leur planification stratégique. « Les clients l’exigent, tout comme les investisseurs », explique Bouchra M’Zali.

Une question de pertinence

L’engagement de BBA en faveur du développement durable ne date pas d’hier. Cette firme de génie-conseil se spécialise notamment dans les projets d’énergies renouvelables et l’électrification. À son entrée en poste en 2022, le nouveau président de l’entreprise, Jérôme Pelletier, a lancé un plan visant à atteindre la carboneutralité d’ici 2030.

On a embauché une firme externe pour calculer notre empreinte carbone passée. On a réussi à compenser nos émissions de carbone des 42 premières années grâce à notre entente avec Arbres Canada.

Vincent Massé, chef de la direction financière de BBA

En tant que société privée, BBA n’a pas l’obligation d’intégrer les normes ESG dans ses décisions d’affaires, rappelle Vincent Massé. « On estime qu’on n’a pas le choix de le faire pour rester pertinents auprès de nos clients, de nos 1600 employés et de nos futurs employés. »

Il souligne que BBA prend des mesures concrètes au quotidien. Source d’énergie des bureaux, émissions de carbone pour les déplacements lors des voyages d’affaires et cibles à atteindre pour augmenter le nombre de femmes associées : toutes ces données (et bien d’autres) sont maintenant mesurées par Vincent Massé, en plus des informations financières.

L’entreprise a réalisé son premier rapport ESG en juin dernier. Elle prévoit le mettre à jour tous les deux ans.

Vers une harmonisation des normes

L’International Sustainability Standards Board (ISSB), établi à Montréal depuis 2022, a dévoilé ses deux premières normes de divulgation financière liées aux critères ESG.

« Il y a une tentative d’harmonisation des normes communes, explique Bouchra M’Zali. Ça avance. La discipline est en pleine mutation. »

Cette normalisation permettra selon elle une meilleure lecture des données fournies par les entreprises. « À mon humble avis, les exigences évolueront avec le temps. L’accent est pour l’instant mis sur l’environnement, mais le volet social est négligé parce qu’il est difficile à mesurer. »

Celle qui est aussi titulaire de la Chaire africaine d’innovation et de management durable souligne qu’on ne peut pas comparer les entreprises de différents domaines entre elles. « Chaque secteur a ses enjeux. La gestion de l’eau affecte les minières, mais pas les banques », illustre-t-elle.

Le président du conseil d’administration de la section Québec de Financial Executives International (FEI) Canada, Dominic Grimard, se réjouit de l’implantation de l’ISSB à Montréal.

Même s’il est encore tôt pour se prononcer, il pense que les normes viendront clarifier le travail des dirigeants financiers.

Des chefs de la finance plus impliqués

Traditionnellement, le chef de la direction financière gère les cordons de la bourse. Ce mandat se voit chamboulé par les critères ESG. « Les dirigeants de la finance devront s’adapter à cette nouvelle façon de faire, être plus impliqués et proposer des solutions », estime Dominic Grimard.

Lui-même chef de la direction financière de Power Sustainable, Dominic Grimard prévoit que le rapport ESG d’une entreprise aura éventuellement autant d’importance que les résultats financiers pour les investisseurs institutionnels, comme les caisses de retraite.

Bouchra M’Zali abonde dans le même sens. « Les responsables financiers devront intégrer ces critères dans leur évaluation des investissements et prendre en compte l’ensemble des enjeux extrafinanciers. »

Elle ajoute que les dirigeants de la finance doivent anticiper les enjeux ESG futurs, comme la diversité, et faire preuve d’agilité pour répondre aux attentes des clients et des investisseurs.

« On agit surtout sur le comportement des gens », croit pour sa part Vincent Massé. Ce dernier estime que son rôle est désormais d’influencer les gens à prendre les bonnes décisions en matière de normes ESG. Il encourage par exemple le recours au transport collectif ou au taxi vert et la transition vers des immeubles certifiés LEED.

« Le défi, c’est d’être logique et constant, de rallier les gens sans les brimer. »