Le réseau de la santé s’apprête à inviter les cliniques privées du Québec à présenter des offres tarifaires pour effectuer des milliers d’interventions chirurgicales d’un jour. Une vingtaine de cliniques pourraient être intéressées, peut-être plus.

L’information m’a été confirmée par le sous-ministre responsable au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Pierre-Albert Coubat.

Les appels d’offres seront lancés d’ici la fin de l’été par les CISSS et les CIUSSS, selon leurs besoins, afin d’être prêts pour septembre. Les cliniques seront choisies selon le principe du plus bas soumissionnaire qualifié, mais certains offrants qui sont 10 % plus chers pourraient quand même être retenus, dans certaines circonstances.

Québec fera donc jouer la concurrence pour obtenir les meilleurs tarifs. Le gouvernement du Québec a notamment pour objectif de réduire les listes d’attentes en chirurgie.

Ce recours par appel d’offres au privé pour les interventions est une première. En plus des opérations, le processus touchera aussi l’imagerie médicale et l’endoscopie, est-il précisé dans une circulaire du MSSS du 28 avril1.

Les patients n’auront rien à payer. Comme au public, c’est le gouvernement qui acquittera les factures.

« Les cliniques auront intérêt à être le plus bas possible. Notre objectif, c’est d’aller chercher les meilleurs tarifs du privé pour les contribuables », m’explique Pierre-Albert Coubat, du MSSS.

Les précédents contrats au privé ont été accordés de gré à gré à certaines cliniques dans le contexte de la pandémie. Au total, 162 000 interventions ont ainsi été pratiquées au privé depuis trois ans, ce qui a coûté quelque 200 millions au gouvernement (environ 66 millions par an). Cette somme représente environ 5 % du budget annuel de chirurgie au Québec, qui est de 1,5 milliard.

Le tarif des interventions chirurgicales du privé sera évalué sur la base du tarif médian payé par le réseau aux hôpitaux publics pour les mêmes opérations.

L’objectif n’est pas tant d’économiser, globalement, mais de ramener, en 2024, le nombre de personnes qui attendent une opération depuis plus d’un an au niveau prépandémique, soit 3000 patients, est-il indiqué au budget du Québec. Actuellement, plus de 17 500 personnes attendent depuis plus d’un an pour avoir une intervention.

On veut profiter au maximum de la capacité du privé à prix raisonnable dans le but de rattraper le volume de chirurgies en attente.

Pierre-Albert Coubat, sous-ministre au MSSS

Dans le budget, le gouvernement du Québec a prévu une somme de 700 millions sur quatre ans pour réduire ces listes d’attente, dont environ la moitié est liée à une entente avec les médecins spécialistes. La part réservée au privé n’est pas précisée.

Le processus d’appel d’offres au privé est possible depuis que le MSSS a acquis une meilleure connaissance des coûts des diverses opérations. En 2016, le MSSS a lancé un processus d’estimation des coûts de certaines interventions chirurgicales dans trois cliniques privées et une vingtaine d’hôpitaux publics.

Ce processus lui a permis de constater que les coûts pour une même opération variaient du simple au double dans les centres hospitaliers publics et que les cliniques privées étaient parfois moins chères, parfois plus chères.

Depuis le 1er avril 2023, Québec a entrepris de ne plus payer les opérations selon le budget historique des hôpitaux, mais en fonction du coût médian de ces interventions au Québec, ce qui constitue une révolution. Les hôpitaux qui ont des coûts plus élevés seront déficitaires, les autres seront gagnants.

Une période de transition de trois ans est donnée aux établissements publics pour qu’ils trouvent des façons d’équilibrer leur budget selon ces paramètres de financement par tarifs plutôt qu’avec les seuls budgets historiques. Québec a invité les centres publics à se transmettre leurs meilleures pratiques et ainsi réduire leurs coûts. Il est aussi question d’indicateurs de qualité.

Pour les appels d’offres au privé, plusieurs types d’interventions d’un jour pourraient figurer sur la liste, qu’on pense aux cataractes, aux coloscopies ou aux décompressions du tunnel carpien, par exemple.

Une bonification au tarif pourrait être ajoutée selon le degré de complexité des cas, comme au public.

Le MSSS souhaite que les CISSS ou les CIUSS d’une même région se regroupent pour simplifier les processus d’appels d’offres.

Le processus n’est pas sans risque. Il existe une possibilité réelle de cannibalisation des ressources humaines entre le public et le privé. N’est-ce pas le même personnel qui fait ces opérations ? Quel est donc l’avantage, ultimement ?

Pour les chirurgiens, faut-il préciser, presque rien ne change, puisqu’ils resteront payés par la RAMQ aux mêmes tarifs, qu’ils pratiquent au privé ou au public. Pour le reste du personnel, notamment les infirmières, le ministère de la Santé a prévu des clauses de non-sollicitation et de non-recrutement des employés du public dans les futurs contrats, sans quoi des pénalités sévères pourraient s’appliquer.

Les cliniques privées ont déjà les effectifs requis. Et une partie des infirmières des agences de placement ne voudra pas revenir au public, qu’il s’agisse d’infirmières retraitées ou de celles qui ne veulent travailler qu’une journée par semaine.

Pierre-Albert Coubat, sous-ministre au MSSS

Selon M. Coubat, l’hyperspécialisation de certaines cliniques privées, qui n’ont pas à changer leur plateau technique pour s’adapter aux diverses interventions chirurgicales, permettra de gagner en efficacité et en volume.

Ce que j’en pense ? Qu’il s’agit d’un changement majeur, qui devra être scruté à la loupe.

Parviendra-t-on à préserver la qualité avec le privé ? Quel sera l’impact sur les hospitalisations au public des cas qui tournent mal au privé ? Réussira-t-on vraiment à empêcher la cannibalisation en cette ère de pénurie de main-d’œuvre ?

Autre question : qu’arrivera-t-il, dans un an, quand l’attente sera revenue à la normale ? Retirera-t-on les volumes au privé ? À suivre, donc.

1. Consultez la circulaire du MSSS

Non, le privé n’est pas plus cher

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Dans les faits, il appert que les cliniques privées se sont avérées parfois plus chères et parfois moins chères que les hôpitaux publics, explique notre chroniqueur.

Ces derniers jours, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) a affirmé que « le recours au privé est beaucoup plus coûteux que le public » pour les interventions chirurgicales.

Le groupe bien campé à gauche, allergique au privé, a marqué des points dans l’opinion publique en basant son analyse sur un compte rendu du projet pilote du ministre de la Santé obtenu en vertu d’une demande d’accès à l’information.

Or voilà, les critiques de l’IRIS sont, disons, discutables. Elles arrivent dans un contexte où le réseau de la santé s’apprête à faire jouer la concurrence lors d’un appel d’offres au privé pour avoir les meilleurs tarifs pour les interventions chirurgicales (voir autre texte).

Surtout, les renseignements sur lesquels se base l’IRIS pour affirmer que le privé est « beaucoup plus coûteux » sont soit incomplets, soit erronément calculés, si bien qu’on ne peut pas généraliser les conclusions qu’il en tire.

Dans les faits, il appert que les cliniques privées se sont avérées parfois plus chères et parfois moins chères que les hôpitaux publics pour certaines opérations durant cette phase expérimentale du projet, entre 2018 et 2020.

C’est d’ailleurs ce que je concluais dans une analyse publiée en mai 2022 sur la base de renseignements du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) à propos de trois interventions1, 2.

Voyons voir. D’abord, l’IRIS calcule son coût du privé en faisant une moyenne simple des données du MSSS, alors qu’il aurait fallu une moyenne pondérée en fonction du volume d’opérations. Dans un cas en particulier, ce raccourci inverse la conclusion.

Plus précisément, pour la décompression du tunnel carpien, l’IRIS obtient une moyenne simple de 947 $ en 2018 pour les trois cliniques privées avec les chiffres de son document du MSSS. Elle conclut que le coût est deux fois plus élevé qu’au public.

Or, parmi les trois cliniques privées utilisées pour le calcul de cette moyenne de 947 $ par intervention, la plus chère avait un petit volume d’opérations et la moins chère, un très grand volume. Tant et si bien qu’en faisant une moyenne en tenant compte de ces volumes, le privé devient globalement moins cher que le public pour cette intervention, selon les données que j’ai obtenues pour le dossier de 2022. Ces données sont semblables à celles de l’IRIS, mais plus détaillées.

Plus précisément, la moyenne du privé passe à 572 $ pour cette opération et celle du public à 740 $, selon mes données, qui portent sur 18 centres hospitaliers. L’écart est donc de 23 % en faveur du privé pour l’intervention du tunnel carpien.

Deuxième observation : pour deux des cinq interventions chirurgicales analysées par l’IRIS – la coloscopie courte ou longue –, seulement deux centres publics ont été comparés au privé par le MSSS dans le projet pilote, alors que de nombreux établissements pratiquent de telles opérations. Ce petit échantillon est de nature à fragiliser les comparaisons.

Depuis la fin du projet pilote, le MSSS a pu obtenir les coûts de toutes les interventions pour tous les établissements publics, essentiellement3. Dans mon dossier de mai 2022, le MSSS m’avait fourni les coûts détaillés pour 15 à 19 centres hospitaliers publics, selon l’opération, en plus des trois du privé.

En réaction, la chercheuse de l’IRIS qui a travaillé sur le dossier, Anne Plourde, convient qu’il aurait été préférable de faire une moyenne pondérée, notamment, mais explique qu’elle n’avait pas de telles données à sa disposition.

« Avoir su, j’en aurais tenu compte, mais elles n’étaient pas disponibles dans le document du projet pilote et le Ministère n’a pas voulu me fournir d’autres choses, alors que ma demande d’accès était bien plus volumineuse. J’ai fait avec ce que j’avais », me dit Anne Plourde.

La chercheuse dit n’avoir pas lu mes chroniques de mai 2022 sur ce même sujet, qui avaient pourtant fait l’objet d’un commentaire aux lecteurs de l’IRIS à l’époque.

Bref, les moyennes ne sont pas toujours de bons indicateurs pour juger d’une situation.

Parmi les 19 hôpitaux publics, par exemple, le coût de la même opération variait du simple au double au cours de l’année 2018-2019. Depuis, le Ministère a invité les divers centres hospitaliers à mettre leurs pratiques en commun, ce qui est de nature à les avoir aidés à réduire leurs coûts.

Cette réduction de coûts est nécessaire : depuis un mois, les centres publics ne sont plus payés selon leur budget historique, ils reçoivent plutôt un tarif fixe pour chacune des interventions. Comme ce tarif équivaut à la médiane québécoise, certains hôpitaux deviennent déficitaires pendant que d’autres y gagnent, d’où la nécessité de transmettre les meilleures pratiques (voir autre texte)⁠4.

Anne Plourde, de l’IRIS, juge que le gouvernement devrait être transparent et fournir toutes les données à ce sujet dans le contexte du transfert important d’interventions chirurgicales au privé.

Je suis bien d’accord avec elle sur cet aspect. Des données et des rapports doivent être rendus publics pour qu’on juge adéquatement de la situation.

Quoi qu’il en soit, sur la base des renseignements disponibles, on peut conclure que le coût des interventions chirurgicales n’est pas nécessairement plus bas ou plus haut dans les cliniques privées. Souvent, les hôpitaux publics parviennent à faire aussi bien, sinon mieux, comme je l’écrivais en mai 2022, ce qui, en soi, est révélateur.

Toutefois, affirmer que le privé est « beaucoup plus coûteux » est inexact et nuit au débat.

1. Lisez la chronique « Révolution dans le financement des hôpitaux » 2. Lisez la chronique « Sacrifiera-t-on la qualité des soins de santé ? »

3. Sauf pour la coloscopie, le document du MSSS obtenu par l’IRIS ne précise pas sur combien de centres hospitaliers se basent les chiffres fournis par le MSSS à l’IRIS. Le projet pilote devait compter sur les données financières de 11 CISSS-CIUSS et deux centres universitaires, selon le décret de 2016, mais on ne sait pas si le MSSS a pu utiliser les données de tous pour sa comparaison.

4. Les coûts et les tarifs, précisons-le, n’incluent pas la facture du chirurgien, qui est payée par la RAMQ, au privé comme au public. Seuls les frais de gestion, le coût des fournitures et les frais indirects sont inclus.