Nous sommes en 2015. Fraîchement élu, Justin Trudeau clame haut et fort que le « Canada est de retour » sur la scène internationale. Huit ans plus tard, on a plutôt envie de se mettre un sac de papier brun sur la tête.

Ce n’est pas la faute de Justin Trudeau si le président de la Chambre des communes, Anthony Rota, a déroulé le tapis rouge à un vétéran ukrainien, sans savoir qu’il avait combattu aux côtés des nazis. Mais l’ovation qu’il a reçue au Parlement a transformé la visite du président ukrainien Volodymyr Zelensky en catastrophe diplomatique. Et elle a fourni des munitions inespérées à la machine à propagande du Kremlin, qui veut faire passer l’invasion de l’Ukraine pour une opération de dénazification.

Un beau gâchis. M. Rota a remis sa démission, ce qui relevait de l’évidence. Il n’en demeure pas moins que cette incroyable bourde nuit à la réputation internationale du Canada dont l’influence ne cesse de rétrécir.

À preuve, le Canada ne fait pas partie de la nouvelle alliance AUKUS conclue par ses habituels alliés, les Américains, les Britanniques et les Australiens. On parle ici d’une collaboration majeure tant sur le plan technologique que diplomatique.

Mais la pire rebuffade demeure l’incapacité du Canada à obtenir un siège au Conseil de sécurité de l’ONU, en 2020. Le gouvernement Trudeau a perdu le vote, comme le gouvernement Harper dix ans plus tôt.

« Ces deux échecs ont donc été reçus comme une humiliation pour un État que l’on considère souvent comme un des promoteurs les plus enthousiastes des Nations Unies », constatent les auteurs de l’ouvrage Politique internationale et défense au Canada et au Québec. (1)

Si le Canada ne brille plus comme avant sur la scène internationale, c’est parce que Justin Trudeau, qui concentre le pouvoir dans son cabinet, n’a pas fait preuve d’un grand leadership depuis son arrivée au pouvoir.

Par exemple, il n’a pas été à la hauteur de ses promesses en matière d’aide humanitaire.

Et même si la planète est sous haute tension avec l’invasion de l’Ukraine, il n’a jamais eu l’intention d’atteindre la cible fixée par ses partenaires de l’OTAN de consacrer 2 % du PIB aux dépenses militaires, alors que d’autres pays comme l’Allemagne ont pris cet engagement.

Remarquez que l’argent ne règle pas tout. Encore faut-il avoir une vision claire de ce qu’on veut en faire. Or, le gouvernement Trudeau n’a pas non plus présenté d’idées phares ou de grands projets en matière de politique étrangère.

Être de retour ? Oui, d’accord. Mais à quoi bon être nostalgiques des années glorieuses de la politique étrangère canadienne qui sont terminées depuis les années 1960 ? On ne peut pas rester ancré dans le passé alors que les plaques tectoniques de la planète bougent.

Il faut reconnaître que le déclin de l’influence du Canada s’explique aussi par des facteurs structurels qui ont des racines bien plus larges que l’administration Trudeau.

Si le Canada a perdu de son importance relative sur l’échiquier mondial, c’est que d’autres acteurs ont pris du galon, notamment les puissances émergentes des BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Ce bloc pèse désormais plus lourd dans l’économie mondiale que les pays industrialisés du G7.

Bref, c’est l’ensemble de l’Occident qui perd de son influence. C’est « l’ordre libéral international », qui formait la pierre angulaire de la politique étrangère du Canada, qui est bousculé.

Alors que la Russie défie l’OTAN en envahissant l’Ukraine, la tension monte entre la Chine et les États-Unis, notre fidèle allié. Mais le sera-t-il toujours de la même façon, avec la montée du trumpisme ? Voyez seulement comment Donald Trump s’en est pris à l’Accord de libre-échange.

Dans ce contexte mouvant, le défi du Canada est de renouveler « l’internationalisme » qui l’a si bien servi dans le passé en tenant compte des nouveaux facteurs qui feront tourner la planète au cours des prochaines décennies.

C’est ce que Paul Martin, alors ministre des Finances, avait voulu faire en mettant au monde le G20. Ce rendez-vous des 20 économies les plus importantes de leur région a permis d’étendre les discussions du G7 aux économies émergentes. Mais on voit maintenant les limites de ce forum qui a refusé de condamner l’invasion de l’Ukraine lors de sa dernière rencontre à New Delhi.

Que faire d’autre ?

Pour faire contrepoids à l’influence de la Chine, le Canada a pondu sa stratégie indopacifique, qui mise sur des relations accrues avec l’Inde, qui est notre 10e partenaire commercial en importance. Voilà un pas dans la bonne direction.

Mais les accusations de Trudeau voulant que l’Inde soit derrière l’assassinat d’un leader sikh, en Colombie-Britannique, ont jeté un froid glacial sur les relations entre les deux pays.

À voir la réaction intransigeante de l’Inde, on a l’impression qu’elle se sert du Canada pour montrer de quel bois elle se chauffe aux autres pays… qui se sont bien gardés de hausser le ton contre l’Inde, qu’ils courtisent eux aussi.

Le Canada se retrouve donc isolé, coincé dans un jeu d’échecs dont il n’est qu’un pion, de la même façon qu’il l’a été avec la Chine.

N’empêche, il faut se tenir debout quand un pays commet un assassinat sur son territoire, même si le prix politique peut être élevé quand on se bat contre un géant.

(1) Consultez le synopsis de Politique internationale et défense au Canada et au Québec

La position de La Presse

Alors que les plaques tectoniques mondiales bougent, le Canada doit redéfinir sa politique étrangère afin de contrer le déclin de son influence sur la scène internationale. Et ce n’est pas l’affreuse bourde entourant la visite du président ukrainien qui va aider à rétablir sa réputation.