(Ottawa) Justin Trudeau a lâché une bombe, lundi, en accusant l’Inde d’avoir « un lien possible » avec l’assassinat en sol canadien d’un leader sikh, Hardeep Singh Nijjar, une accusation qualifiée d’« absurde » par le ministère indien des Affaires étrangères. En guise de représailles, le gouvernement canadien a expulsé un diplomate indien, ce qui laisse présager une nouvelle escalade des tensions entre les deux pays.

« Au cours des dernières semaines, les organismes canadiens de sécurité se sont penchés activement sur des allégations crédibles selon lesquelles il existerait un lien possible entre des agents du gouvernement de l’Inde et le meurtre d’un citoyen canadien, Hardeep Singh Nijjar », a déclaré le premier ministre canadien.

Cette annonce faite à la Chambre des communes survient quelques jours après son retour de New Delhi, en Inde, où se déroulait le Sommet du G20. « La semaine dernière, j’ai personnellement abordé la question de manière très claire avec le premier ministre [Narendra] Modi », a-t-il indiqué.

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Justin Trudeau a rencontré le premier ministre de l’Inde, Narendra Modi, à l’occasion du Sommet du G20, le 10 septembre dernier.

« L’implication de tout gouvernement étranger dans le meurtre d’un citoyen canadien en sol canadien constitue une violation inacceptable de notre souveraineté. Un tel acte va à l’encontre des règles fondamentales qui régissent les sociétés libres, ouvertes et démocratiques », a-t-il dénoncé.

« Je continue de demander instamment et avec la plus grande fermeté au gouvernement de l’Inde de coopérer avec le Canada pour éclaircir cette affaire », a ajouté le premier ministre, précisant qu’Ottawa travaille sur ce dossier avec ses « principaux alliés ».

Dirigeant d’un temple sikh accusé de complot pour meurtre et de terrorisme en Inde, Hardeep Singh Nijjar a été tué par balle devant le temple à Surrey, en Colombie-Britannique, à la fin de juin. Il aurait fait l’objet de menaces de mort en raison de son soutien à un État sikh indépendant du Khalistan, en Inde.

Le ministère indien des Affaires étrangères a qualifié mardi d’« absurdes » les accusations d’Ottawa.

« Les allégations d’implication du gouvernement indien dans tout acte de violence au Canada sont absurdes », a déclaré le ministère dans un communiqué, ajoutant : « Nous sommes un État démocratique avec un engagement fort en faveur de l’État de droit ».

Diplomate indien expulsé

La première riposte canadienne est venue de la bouche de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly.

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Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères

« Aujourd’hui, j’ai expulsé un diplomate indien du plus haut niveau », a-t-elle annoncé en point de presse. Le diplomate sanctionné est Pavan Kumar Rai, qui est à la tête du Research and Analysis Wing (RAW), l’agence de renseignement étranger de l’Inde au Canada, a précisé Mme Joly.

Cette affaire, qui a été reprise dans les médias internationaux, pourrait empoisonner encore davantage le lien entre le Canada et l’Inde, a souligné Serge Granger, professeur de sciences politiques à l’Université de Sherbrooke.

« Ça va refroidir une relation bilatérale passablement en difficulté », a-t-il affirmé en entrevue.

« Ce qui est surprenant, c’est de voir l’audace avec laquelle ça a pu être fait sur le territoire canadien », a-t-il ajouté. Et selon lui, sans présumer des résultats d’une potentielle enquête, les intentions du gouvernement Modi sont claires : « tuer dans l’œuf toute velléité séparatiste en provenance du mouvement du Khalistan ».

Condamnation unanime aux Communes

La déclaration solennelle du premier ministre a provoqué une onde de choc à la Chambre des communes en ce jour de rentrée parlementaire. Quelques minutes avant de prendre la parole, il avait pris soin d’informer ses homologues des autres partis de la nature de son intervention.

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a partagé le sentiment de colère de son adversaire politique.

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Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur

« Nos citoyens doivent être à l’abri de meurtres extrajudiciaires de toutes sortes, en particulier de la part de gouvernements étrangers, a-t-il martelé. Nous demandons au gouvernement indien d’agir dans la plus grande transparence alors que les autorités enquêtent sur ce meurtre. »

À son tour de parole, le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, lui-même de confession sikhe, s’est dit atterré d’apprendre la nouvelle. Celle-ci, a-t-il soutenu, aura « des conséquences dévastatrices et profondes » pour les Canadiens.

« J’ai grandi en entendant beaucoup d’histoires […] au sujet des violations des droits de la personne en Inde, mais jamais je n’aurais imaginé entendre le premier ministre corroborer qu’il y a un lien entre le meurtre d’un citoyen canadien, en territoire canadien, et un gouvernement étranger », a-t-il regretté.

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Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

Le bloquiste Alain Therrien a offert toute la collaboration de son parti pour obtenir justice : « Nous sommes un État de droit, et en tout temps, sans exception, on doit respecter ça. C’est un message clair que le Parlement doit donner aux coupables. »

En juin dernier, la conseillère à la sécurité nationale et au renseignement auprès du premier ministre, Jody Thomas, a identifié l’Inde comme étant l’un des pays les plus actifs en matière d’ingérence étrangère au Canada.

La juge Marie-Josée Hogue, dont le mandat à la tête de la commission d’enquête publique sur l’ingérence étrangère commençait officiellement lundi, dispose de la latitude pour se pencher sur les actions de l’Inde dans le cadre de son étude, qui porte sur l’ingérence étrangère dans les élections de 2019 et 2021.