(Ottawa) Un ancien combattant ukrainien qui faisait partie d’une unité nazie a été applaudi à tout rompre lors du discours du président Volodymyr Zelensky au Parlement, vendredi dernier – une histoire qui plonge le gouvernement Trudeau dans l’embarras, alors que la visite de l’homme fort de Kyiv devait être le point positif d’une semaine difficile sur le plan des affaires internationales.

L’ancien combattant âgé de 98 ans, Yaroslav Hunka, a été chaudement ovationné par les élus et les sénateurs du Parlement canadien lorsque le président de la Chambre des communes, Anthony Rota, a mentionné sa présence dans les tribunes.

« Il est un héros ukrainien, un héros canadien et nous le remercions pour son service », a lancé le président Rota en présentant ce citoyen de sa circonscription du nord de l’Ontario. L’ancien soldat s’est levé et il a été applaudi par la salle, y compris par le président Zelensky, qui a levé le poing en sa direction.

Il s’avère que pendant la Seconde Guerre mondiale, l’homme était membre de la 14division de la Waffen-SS, créée par le régime nazi. L’affaire était passée inaperçue jusqu’à ce que des organisations juives sonnent l’alarme, dimanche.

« Les communautés juives québécoise et canadienne soutiennent fermement l’Ukraine dans sa guerre contre l’agression russe. Mais nous ne pouvons pas rester silencieux lorsque les crimes commis par les Ukrainiens pendant l’Holocauste sont blanchis », s’est insurgé le Centre des affaires israéliennes et juives sur le réseau social X.

PHOTO PATRICK DOYLE, LA PRESSE CANADIENNE

Yaroslav Hunka (à droite)

« Consternant », a écrit sur le même réseau social l’organisation Les amis du Centre Simon Wiesenthal pour les études sur l’Holocauste. Chez B’nai Brith, le président-directeur général Michael Mostyn a exprimé un sentiment similaire, plaidant qu’« on ne peut permettre une réécriture [whitewashing] de l’Histoire ».

Les excuses du président Rota

Le président Rota a vite fait acte de contrition, dans une déclaration publiée dimanche, assurant « regretter [sa] décision d’avoir présenté cette personne », à la lumière des « nouveaux renseignements » portés à son attention depuis le discours de vendredi passé.

Je tiens tout particulièrement à offrir mes excuses les plus sincères aux communautés juives partout au Canada et autour du monde. J’assume l’entière responsabilité de mes actes.

Anthony Rota, président de la Chambre des communes

L’arbitre des travaux en Chambre a spécifié qu’aucun parlementaire, ni la délégation ukrainienne, « n’était au courant » de ses intentions ou de ses remarques, et qu’il était, par conséquent, « le seul responsable de cette initiative ».

Cette version des faits a été corroborée par le bureau du premier ministre Trudeau, selon qui M. Rota a fait « la bonne chose » en s’excusant et en acceptant « l’entière responsabilité pour l’envoi de l’invitation et pour la reconnaissance au sein du Parlement ».

Les partis de l’opposition choqués

Le chef conservateur Pierre Poilievre a jeté le blâme sur Justin Trudeau et son service du protocole, tout en prenant soin de prendre ses distances de l’ovation à laquelle l’ancien combattant d’origine ukrainienne a eu droit vendredi dernier.

« Il s’agit d’une grave erreur de jugement de la part de Justin Trudeau, dont son bureau du protocole est chargé d’organiser et d’approuver tous les invités et programmes des visites d’État de ce type », a écrit sur X le leader de l’opposition officielle.

À cela, le bureau de Justin Trudeau réplique que « le Parlement et le bureau du président de la Chambre sont indépendants du premier ministre et du Cabinet du premier ministre », lit-on dans la déclaration relayée sur les réseaux sociaux par la porte-parole Ann-Clara Vaillancourt.

N’empêche, le chef néo-démocrate Jagmeet Singh, qui s’est lui aussi dissocié de l’accueil réservé à Yaroslav Hunka, réclamera des comptes. « Les néo-démocrates soulèveront leurs préoccupations directement auprès du gouvernement libéral afin de comprendre comment cela a pu se produire », a-t-il noté sur X.

Dans son message publié sur X, Pierre Poilievre affirme que « Justin Trudeau a personnellement rencontré et honoré » Yaroslav Hunka. « Le premier ministre ne l’a pas rencontré », a réagi la leader du gouvernement aux Communes, Karina Gould, de confession juive, qui s’est dite « profondément préoccupée ».

Quant au chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, il a indiqué à La Presse Canadienne qu'il voulait « s’abstenir de faire de la politique partisane à ce sujet », se disant « convaincu qu’il n’y a personne dans le Parlement qui ait des sympathies à l’endroit de l’Allemagne de la Deuxième Guerre ».

« Autopeluredebananisation »

Cette affaire vient porter ombrage à une journée qui s’était somme toute bien déroulée pour Justin Trudeau, et ce, à l’issue d’une semaine qui avait été marquée par l’éclatement d’une crise diplomatique entre le Canada et l’Inde.

« La visite de Volodymyr Zelensky était censée être un point positif, et là, on s’“autopeluredebananise”, on se tire dans le pied », observe en entrevue l’ancien stratège libéral Jeremy Ghio.

Au lieu de finir la semaine avec quelque chose de très positif, encore une fois, on est pris avec une crise à gérer au gouvernement.

Jeremy Ghio, ancien stratège libéral

Et s’il est exact que la présidence de la Chambre jouit d’une indépendance, « j’ai de la misère à croire que le bureau du premier ministre n’a pas eu accès à la liste des gens qui étaient invités », car ce genre d’évènement est « contrôlé », argue celui qui est maintenant directeur à la firme d’affaires publiques TACT Conseil.

Ce qui s’est joué à Ottawa pourrait fournir de nouvelles munitions aux organes de propagande du Kremlin, et des médias d’État comme Russia Today s’en sont vite emparés, dimanche. En février 2022, Vladimir Poutine présentait l’invasion de l’Ukraine comme une opération spéciale pour « dénazifier » le pays voisin.

Qu’est-ce que la Waffen-SS ?

  • Créée en 1939 par Adolf Hitler à la suggestion du commandant Heinrich Himmler, la Waffen-SS était la branche militaire des SS (Schutzstaffel, ou escouade de protection).
  • Environ 20 divisions ont vu le jour pendant la Seconde Guerre mondiale, pour une force d’environ un demi-million de soldats au total.
  • La 14division Waffen Grenadier de la SS était majoritairement composée de volontaires ukrainiens qui ont été impliqués dans des massacres contre les Juifs.

Sources : United States Holocaust Memorial Museum, Associated Press