(Ottawa) Le président de la Chambre des communes a ébranlé la confiance des élus en les faisant ovationner à leur insu un ancien soldat nazi lors du discours du président ukrainien Volodymyr Zelensky et, pour cela, il doit quitter son fauteuil, ont tranché lundi le NPD et le Bloc québécois. Dans les banquettes conservatrices, on a adopté une autre stratégie : blâmer Justin Trudeau.

C’est le leader néo-démocrate à la Chambre des communes, Peter Julian, qui a sonné la charge, lundi matin, en plaidant que le président Rota n’avait d’autre choix que de tirer sa révérence, puisque les députés se sont sentis « trahis » d’avoir ovationné Yaroslav Hunka, ancien membre de la 14division de la Waffen-SS.

« Cette erreur est impardonnable, et elle jette le discrédit sur la Chambre en entier. Je crois qu’un lien de confiance sacré a malheureusement été rompu. C’est pour cette raison […] que je demande, pour le bien du Parlement, que vous démissionniez du poste de président », a asséné l’élu.

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Peter Julian, leader néo-démocrate à la Chambre des communes

Au Bloc québécois, on avait d’abord hésité à aller jusqu’à demander à Anthony Rota de jeter l’éponge. Le leader de la formation en Chambre, Alain Therrien, en avait plutôt appelé, lundi matin, à la « conscience » et à la « sagesse » du président.

Environ deux heures et demie plus tard, le chef Yves-François Blanchet a tranché par voie de communiqué.

« Le Bloc québécois ne peut que constater, d’une part les dommages causés par l’erreur de la présidence, et d’autre part, la perte de confiance de la Chambre dont il a besoin pour exercer sa fonction. En conséquence, nous invitons le président de la Chambre à agir de façon responsable et renoncer à sa fonction », a-t-il dit.

Trudeau dans la ligne de mire conservatrice

Le conservateur Andrew Scheer, qui a été président de la Chambre de 2011 à 2015, a lui aussi dénoncé cet « incident très sérieux », sans toutefois aller jusqu’à réclamer la tête de l’arbitre des débats parlementaires. Car selon toute vraisemblance, dans le camp conservateur, on veut faire porter le blâme à Justin Trudeau.

Toutes les interventions en provenance des banquettes de l’opposition – dont la majorité mettait l’accent sur le mot « nazi » – ont porté sur cette controverse, et elles ont relativement épargné le président de la Chambre des communes.

« Le gouvernement s’attend-il réellement à ce que les Canadiens croient qu’il ignorait qu’un nazi était dans cette Chambre ? », s’est exclamé Blaine Calkins. « Le premier ministre trouve toujours une personne à jeter sous le bus. Serez-vous cette personne ? », a quant à lui lancé Pierre Poilievre à l’intention de M. Rota.

En l’absence de Justin Trudeau, qui ne participait pas à la période des questions, comme c’est souvent le cas les lundis, c’est la leader du gouvernement libéral en Chambre, Karina Gould, qui a passé la majeure partie de la séance sur les talons.

À l’issue de la période des questions, Mme Gould a voulu déposer une motion afin de biffer du journal des débats l’hommage rendu à Yaroslav Hunka, les conservateurs ont refusé. « Ceux qui n’apprennent pas de l’Histoire sont condamnés à la revivre », s’est opposé Marty Morantz.

« Inacceptable », dit Trudeau

De son côté, le premier ministre Justin Trudeau s’est gardé de réclamer le départ du président Rota.

« C’est inacceptable que cela se soit passé. Le président de la Chambre en a pris la responsabilité. Il s’est excusé. Mais il va sans dire que c’est profondément gênant pour le Parlement du Canada et, par extension, pour tous les Canadiens », a-t-il commenté lors d’une brève mêlée de presse.

Yaroslav Hunka, âgé de 98 ans, est un citoyen de la circonscription du nord de l’Ontario que représente Anthony Rota. Lorsque ce dernier a mentionné que ce « héros canadien et ukrainien » était dans les tribunes à titre d’invité, vendredi dernier, la salle s’est levée d’un bond pour l’ovationner.

L’affaire était passée sous le radar jusqu’à ce que des organisations juives sonnent l’alarme, dimanche.

Dans les heures qui ont suivi, le président s’est confondu en excuses. « Je suis le seul responsable de cette initiative. Je tiens tout particulièrement à offrir mes excuses les plus sincères aux communautés juives partout au Canada et autour du monde », a déclaré celui qui a été élu sous la bannière libérale.

Lundi matin, dès l’ouverture de la séance en Chambre, il a maintes fois refait acte de contrition.

Si Anthony Rota s’accroche, les députés pourraient avoir recours à une motion de censure pour le déloger de sa chaise feutrée.

Le président de la Chambre est élu par ses pairs après chaque élection générale ou lorsque le poste devient vacant.

Anthony Rota a été élu 37président le 5 décembre 2019, et a été réélu au poste le 22 novembre 2021.

Récupération russe

Ce qui s’est joué à Ottawa fournit des munitions fraîches aux organes de propagande du Kremlin – l’invasion de l’Ukraine a été présentée par le président russe Vladimir Poutine comme une « opération spéciale » visant à « dénazifier » le pays voisin.

« Les citoyens de ce pays doivent une fois de plus réfléchir à ceux que leurs dirigeants glorifient et au type de junte qu’ils soutiennent en Ukraine », a écrit sur le réseau social X l’ambassade de la Russie à Ottawa. Et l’ambassadeur Oleg Stepanov a l’intention de « demander des explications » au gouvernement Trudeau, a-t-on signalé.

L’ambassade de l’Ukraine au Canada n’a pas réagi à la controverse.

Quant à Anthony Rota, il n’avait rien à ajouter, lundi.

Avec la collaboration de Joël-Denis Bellavance, La Presse

Une controverse qui fait le tour de la planète

L’ovation réservée à un vétéran ayant fait partie d’une unité SS à la Chambre des communes, vendredi dernier, a fait le tour de la planète lundi, de nombreux médias internationaux reprenant la nouvelle. L’épisode, associé à une « controverse politique grandissante » par le quotidien britannique The Guardian, a fait l’objet de plusieurs articles dans les médias européens. « Dilettantisme ou inculture historique ? Le Canada est secoué depuis ce week-end par une polémique assez invraisemblable », se questionne de son côté le quotidien français Le Figaro. Le New York Times souligne pour sa part dans un reportage sur les évènements que « pendant des décennies, des critiques ont accusé le gouvernement canadien d’être trop indulgent dans sa poursuite des personnes accusées d’être des criminels de guerre ou des collaborateurs nazis ». Quant au média RT, considéré comme un outil de propagande du Kremlin à l’international, il écrit : « vent de panique sur Ottawa après une découverte pour le moins embarrassante : le vétéran ukrainien invité lors de la visite de Zelensky faisait en réalité partie de la tristement célèbre division SS Galicie. »

Vincent Larin, La Presse