(Ottawa ) Lâché par l’ensemble des partis à Ottawa, le président de la Chambre des communes, Anthony Rota, s’est finalement résigné à quitter son fauteuil. La tempête politique et diplomatique qu’il a déclenchée en invitant un ancien soldat nazi au discours de Volodymyr Zelensky aura eu raison de lui.

Ce qu’il faut savoir

  • Le président de la Chambre des communes, Anthony Rota, a démissionné de ses fonctions après avoir été largué par les libéraux et les conservateurs.
  • Sa décision a été saluée par l’ensemble des partis, mais les conservateurs et les bloquistes jugent tout de même que le premier ministre doit s’excuser.
  • Le processus d’élection de son successeur commencera jeudi. Jusqu’à présent, les Québécois Alexandra Mendès et Joël Godin ont manifesté leur intérêt pour le poste.
  • À Québec, l’Assemblée nationale s’est « dissociée du Parlement du Canada » pour l’ovation qui a été réservée à l’ancien soldat nazi.

Il en a fait l’annonce avant la période des questions, mardi. « Je dois quitter [mon poste], car le travail de cette Chambre est plus grand que chacun de nous », a-t-il déclaré en réitérant son « profond regret » d’avoir invité Yaroslav Hunka.

Mais surtout, il en a fait l’annonce alors qu’il avait été poussé dans ses derniers retranchements.

Car son sort avait été scellé quelques heures auparavant, le gouvernement Trudeau ainsi que l’opposition conservatrice unissant leurs voix aux appels à sa démission lancés la veille par le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois.

La leader du gouvernement à la Chambre, Karina Gould, a invité mardi le président à remettre sa démission. « Je ne vois pas, compte tenu des conversations que j’ai eues, qu’il aurait l’appui des libéraux, et je pense qu’il est temps pour lui de faire la chose honorable », a-t-elle lâché avant la réunion du cabinet.

La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a eu ces mots : « Nous avons été mis dans l’embarras en tant que Canadiens, et c’est certainement un embarras aussi pour la Chambre des communes. Et je pense que le président de la Chambre devrait écouter les députés et démissionner. »

PHOTO DARREN CALABRESE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly

Le premier ministre Justin Trudeau s’est pour sa part gardé de formuler une telle demande mardi, se contentant de réitérer que l’évènement de vendredi dernier avait été « profondément gênant », tout en se disant « certain » qu’Anthony Rota était « en train de réfléchir [à la suite des choses] ».

Une fois l’appui du gouvernement retiré, le Parti conservateur s’est rangé dans le même camp. « Trudeau (et son Président libéral) ont jeté l’opprobre sur le Canada. Le Président libéral devra démissionner », a écrit le chef Pierre Poilievre sur le réseau social X, mardi.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Poilievre

Le président de la Chambre des communes est un arbitre impartial des travaux parlementaires. S’il est vrai qu’Anthony Rota a été élu sous la bannière libérale, sa fonction exige de lui qu’il soit non partisan lorsqu’il est dans son fauteuil.

Le chef conservateur a malgré tout employé la même expression – « président libéral » – à la période des questions en Chambre, qui était dirigée par Chris d’Entremont.

Le premier ministre Justin Trudeau n’étant pas présent à la séance, il a incombé à la ministre Karina Gould de répondre aux critiques des partis de l’opposition quant à la gestion de cette affaire, que les conservateurs ainsi que les bloquistes n’ont pas l’intention de lâcher.

Les deux formations estiment que la démission du président ne suffit pas et exigent du premier ministre qu’il présente des excuses au nom du gouvernement canadien aux communautés juives, aux pays alliés ainsi qu’au président Volodymyr Zelensky.

Démission historique

La démission du président prendra effet mercredi, à la fin de la journée des travaux.

Le départ de M. Rota chamboulera les travaux parlementaires, car le premier sujet à l’ordre du jour de tout Parlement est d’élire un président. Il faudra donc mettre sur la glace le calendrier actuel jusqu’à ce que les députés se choisissent un nouvel arbitre, qui est normalement issu des banquettes gouvernementales.

Le député du Bloc québécois Louis Plamondon deviendra président intérimaire jusqu’à ce qu’un nouveau président soit élu la semaine prochaine, conformément à une motion adoptée par la Chambre des communes mardi soir.

M. Plamondon, qui a été élu pour la première fois en 1984 dans Bécancour—Nicolet—Saurel, est le doyen de la Chambre, ce qui signifie qu’il en est le plus ancien député.

La députée libérale Alexandra Mendès et le député conservateur Joël Godin, qui avaient tous les deux tenté de se faire élire en 2021, ont confirmé mardi à La Presse qu’ils comptaient être de nouveau sur les blocs de départ.

La démission d’un président de la Chambre des communes est historique. Jamais dans l’histoire un président désigné par ses pairs n’avait été forcé de quitter ses fonctions.

Depuis 1986, le président est élu par les députés. Il était auparavant nommé par le premier ministre.

Le poste de président vient avec une résidence de fonction située dans le parc de la Gatineau, en Outaouais. Ironie du sort, une réception pour les députés et les représentants des médias devait s’y tenir mardi en fin de journée. Elle a été annulée après l’annonce de M. Rota.

L’Assemblée nationale se dissocie de la Chambre des communes

Anthony Rota s’est retrouvé au cœur d’un scandale après qu’il eut été révélé que Yaroslav Hunka, un ancien combattant de 98 ans de sa circonscription qu’il avait invité au discours du président Volodymyr Zelensky, a fait partie d’une unité nazie pendant la Seconde Guerre mondiale.

Histoire de clarifier le tout, le Bloc québécois a fait adopter mardi une motion pour « condamne[r] totalement le nazisme sous toutes ses formes » et « exprime[r] sa solidarité pleine et entière à l’égard de toutes les victimes du nazisme, présentes et passées ».

La résolution approuvée à l’unanimité à l’issue d’une période des questions houleuse où des insultes ont fusé des banquettes conservatrices « condamne l’invitation faite, vendredi le 21 septembre 2023, à un ex-soldat de la Waffen-SS et retire tout hommage lui ayant été rendu ».

Sur l’autre colline, le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon est parvenu à fédérer les élus de l’Assemblée nationale derrière une motion que son comparse Yves-François Blanchet n’aurait pas réussi à faire avaliser à Ottawa.

« Que l’Assemblée nationale se dissocie du Parlement du Canada qui a récemment ovationné un ancien combattant nazi de la SS, qu’elle réaffirme sa solidarité envers le peuple juif et envers les victimes de l’holocauste », dit la résolution.

Avec la collaboration d’Hugo Pilon-Larose, La Presse, et La Presse Canadienne