Pour une gaffe, c’en est toute une. Anthony Rota ne s’est pas contenté d’inviter un ancien membre d’une division nazie à la Chambre des communes. Il l’a fait applaudir à tout rompre par tout le Parlement canadien, le premier ministre, le chef de l’opposition, et même Volodymyr Zelensky.

L’évènement a ridiculisé le Canada à travers le monde et humilié symboliquement le président ukrainien.

L’homme défend son pays depuis un an et demi contre un envahisseur 100 fois plus puissant. L’excuse pour envahir l’Ukraine est de libérer la minorité russe de l’oppression et de « dénazifier » le pays.

Et voilà qu’on fournit à la propagande russe des images de Zelensky, lui-même juif, en train d’applaudir debout ce Yaroslav Hunka.

Le Kremlin a immédiatement saisi cette superbe occasion et déclaré la scène « scandaleuse ». Les médias sociaux prorusses ont relayé le tout sans délai.

L’erreur, même commise de bonne foi, a causé des dommages irréparables à la réputation du Parlement et du pays.

Le moment était trop solennel, le sujet, trop grave pour que le dossier soit clos avec des excuses. M. Rota a en effet présenté ses excuses aux communautés juives du pays. Mais il doit des excuses à tout le pays et à l’Ukraine.

Volodymyr Zelensky risque sa vie chaque fois qu’il sort du pays pour venir demander du soutien militaire et financier. Et voilà ce qui sera retenu de sa visite historique.

Ce n’est pas comme si l’erreur était inévitable. Il faut en effet ne rien connaître de l’histoire pour ne pas comprendre ce que « se battre contre la Russie » voulait dire en Ukraine pendant la Seconde Guerre mondiale. Par définition, dans cette zone de l’Europe de l’Est, cela voulait dire se battre du côté de l’Allemagne nazie.

Ça ne veut pas dire que Yaroslav Hunka est un criminel de guerre. Le tribunal de Nuremberg a déterminé que cette division n’était pas coupable de tels crimes globalement. Une commission d’enquête présidée par le juge Jules Deschênes sur la présence d’anciens nazis au Canada s’est penchée en particulier sur le cas de la division galicienne, car le Canada a accueilli entre 400 et 600 de ses combattants après la guerre.

Elle a conclu en 1986 que « leur comportement [celui des anciens Waffen-SS] depuis qu’ils sont venus dans ce pays [le Canada] a été bon et ils n’ont jamais indiqué de quelque façon que ce soit qu’ils avaient été infectés par l’idéologie nazie […]. Il semble qu’ils avaient été volontaires pour se battre contre l’Armée rouge pour des raisons nationalistes qui ont connu une forte impulsion provoquée par le comportement des autorités soviétiques durant l’occupation [en 1939] de la partie occidentale de l’Ukraine après la signature du pacte germano-soviétique ».

Des sources découvertes par la suite leur ont cependant imputé des massacres en Pologne et dans d’autres pays, en particulier contre des Juifs. Ils seraient allés beaucoup plus loin que la lutte nationaliste en faveur des nazis.

La division s’appelait « galicienne », du nom de la Galicie, ancien État à cheval entre la Pologne actuelle et l’ouest de l’Ukraine. Il a été intégré à la Pologne après la Première Guerre mondiale. Quand les Allemands et les Soviétiques se sont partagé la Pologne en 1939, la portion orientale de la Galicie (où se trouve Lviv) a été absorbée par l’URSS. Un mouvement nationaliste ukrainien a saisi l’occasion pour recréer l’indépendance de l’Ukraine. De leur côté, les Allemands les ont utilisés contre l’armée de Staline.

Il ne faut pas oublier qu’après avoir été une alliée, l’URSS est devenue une rivale du Canada. Un historien juif canadien a écrit que les tatouages anticommunistes des membres de cette division leur assuraient une entrée sans problème au Canada. L’anticommunisme venait pour ainsi dire oblitérer le fait qu’ils avaient agi sous commandement nazi. La commission Deschênes a cependant déterminé que le passé de ces combattants ukrainiens avait été vérifié.

Je ne trancherai certainement pas ici les débats intenses sur l’étendue des exactions commises par cette division de soldats volontaires. Une chose est claire : ils faisaient partie des SS.

Je souligne tout ceci uniquement pour montrer à quel point cette histoire n’a rien d’obscur, a été étudiée, débattue, redébattue maintes fois en Europe et ici même au Canada.

Il faut donc que le président de la Chambre des communes et son personnel aient été d’une profonde inculture historique et d’une grave négligence dans leurs vérifications pour qu’on invite cet individu et lui fasse un triomphe, quelles qu’aient été ses responsabilités personnelles.

La charge symbolique est intolérable.

On apprend que cet « Ukrainien qui a combattu la Russie » est comme par hasard un citoyen de la circonscription de M. Rota, auquel il a voulu faire une fleur – tout en l’utilisant politiquement.

Il y a des limites à la naïveté politique opportuniste. M. Rota les a franchies et devrait, comme le disent le NPD et le Bloc québécois, démissionner carrément.