La controverse entourant la présence vendredi dernier à la Chambre des communes de Yaroslav Hunka, un vétéran ayant fait partie d’une unité SS durant la Seconde Guerre mondiale, fait émerger une question : comment des militaires ayant appartenu aux SS sont-ils arrivés au Canada ?

Dans les années suivant la victoire des Alliés à la Seconde Guerre mondiale, la question du sort des milliers de militaires ayant combattu dans les rangs d’Hitler s’est posée.

Cela incluait les militaires de la 14e division de grenadiers de la Waffen-SS (1re division de Galicie), qui était formée de soldats ukrainiens se battant aux côtés de l’Allemagne nazie, notamment contre les troupes russes. La Waffen-SS a été déclarée « organisation criminelle » lors du procès de Nuremberg.

« Ceux qui ont servi dans la 14e division Waffen-SS de Galicie ont prêté serment à Hitler et ont été formés à la doctrine nazie, note une analyse de la revue militaire Esprit de Corps. Les officiers ukrainiens ont été formés dans les installations SS du camp de concentration de Dachau. En fait, certains membres de la division ont noté dans leurs mémoires que les prisonniers du camp de concentration devaient retirer leur chapeau en signe de respect pour les SS ukrainiens. Les membres de l’unité ont reçu des tatouages SS sous le bras gauche indiquant leur groupe sanguin. La direction de la division comprenait des personnalités qui avaient été directement impliquées dans l’Holocauste. »

Le 31 mai 1950, le gouvernement canadien a adopté un décret visant à admettre des hommes ayant servi dans les Waffen-SS, après des demandes en ce sens du gouvernement britannique.

La question de la présence de criminels de guerre au Canada a d’ailleurs mené en 1986 à la création de la commission Deschênes.

Dans son rapport, la commission d’enquête a conclu que le nombre de criminels de guerre qui pouvaient vivre au Canada n’était pas de plusieurs milliers, comme c’était couramment rapporté par les médias à l’époque, mais bien entre 400 et 600.

La commission d’enquête a aussi conclu que « les membres de la division Galicie ont fait l’objet d’un contrôle sécuritaire avant leur admission au Canada », et « qu’aucune preuve n’est venue étayer les accusations de crimes de guerre » portés contre les membres de la division.

En 2005, de nouveaux documents déclassifiés par le gouvernement britannique ont jeté de la lumière sur l’identité des militaires prisonniers que le Royaume-Uni voulait envoyer à l’étranger au lendemain de la guerre.

« Le peu que nous savons de leurs antécédents de guerre est mauvais, écrivait le ministère britannique de l’Intérieur en 1948. Nous espérons toujours nous débarrasser des prisonniers de guerre ukrainiens les moins désirables en les envoyant en Allemagne ou au Canada », rapporte Esprit de Corps.

« Désastreux »

Dominique Arel, titulaire de la chaire d’études ukrainiennes à l’Université d’Ottawa, note que le symbolisme d’avoir un soldat d’une unité SS honoré à Ottawa est « désastreux » pour la cause ukrainienne.

Ç’a été une erreur. Le gouvernement canadien n’avait aucune idée, mais les organisations ukrainiennes auraient dû le savoir.

Dominique Arel, titulaire de la chaire d’études ukrainiennes à l’Université d’Ottawa

« Dans leur tête, il [l’homme présent à Ottawa] a combattu l’agression soviétique, mais dans le mauvais uniforme. Quand tu vois un logo SS, surtout dans un contexte où Poutine appelle les Ukrainiens des nazis et fait sa guerre soi-disant pour dénazifier l’Ukraine, ça n’aide pas la cause, ça, c’est clair. »

M. Arel ajoute toutefois faire une distinction entre ces soldats et les troupes nazies qui ont exterminé plus de 6 millions de Juifs.

« On a l’impression que si tu sers dans une unité SS, à ce moment-là, tu es un nazi du même type qu’un garde dans un camp de concentration… Ce n’est pas tout à fait cela. Ces gars-là, qui étaient très jeunes, se sont joints à cette unité parce qu’ils voulaient acquérir une expérience militaire et voulaient avoir accès à des armes pour ensuite combattre pour l’indépendance de l’Ukraine. Et indépendance contre qui ? Contre l’Union soviétique qui avait annexé leur région en 1939. On parle alors d’une région qui n’avait jamais fait partie de la Russie auparavant. Et les forces soviétiques, la police et tout avaient commis toutes sortes d’atrocités, de déportations, etc. Ils ont connu la terreur soviétique durant deux ans. »

Cette unité ne pouvait avoir affaire avec l’Holocauste parce que la Shoah était terminée en Galicie au moment où ils ont été opérationnels, dit-il.

« Ils sont arrivés en 1944 et il n’y avait plus de Juifs. Tout avait été fait avant. […] Même d’un point de vue légal, tu ne peux pas dire que ce sont des criminels de guerre juste parce qu’ils faisaient partie d’une organisation qui a commis des atrocités avant ou un peu partout en Europe. Il faut voir ce que cet individu et son unité ont fait. »

Avec André Duchesne, La Presse