Sur la route parsemée de mille dangers, il arrivait que des habitants se montrent accueillants à l’égard des migrants. C’était notamment le cas au Panamá, où des Autochtones leur ont proposé un gîte temporaire.

« Ils nous ont fait signe et nous ont offert un endroit où dormir, se rappelle Pascale. On avait peur parce qu’on ne les connaissait pas. Mais au fond, c’étaient de bonnes personnes. »

Des migrants qui ont fait la même route ont raconté avoir croisé des gens moins bien intentionnés qui les ont volés. « Dieu merci, je n’ai jamais rencontré des gens comme ça ! », s’exclame la mère.

En plus des risques de chutes mortelles et de noyades dans la région du Darién, l’Organisation internationale pour les migrations rapporte des cas de violences sexuelles et d’enlèvements sur la route associés à des groupes criminels organisés.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Rayan Dieudonné

Parmi les compagnons de route de la famille de Rayan, il y avait des migrants d’Haïti, de plusieurs pays d’Afrique, du Venezuela, de Cuba… Au sein du groupe, une certaine solidarité s’est créée entre les Haïtiens et les Africains. « Ils ont donné à Rayan et à Jad des pistaches et des sortes de bonbons avec des vitamines qui permettent de maintenir son énergie. Et quand je ne pouvais pas marcher, ils ont pris Rayan et ont marché avec lui. »

Avant de prendre cette route où, chaque année, des migrants meurent de déshydratation, la mère avait glissé dans son sac à dos une solution de réhydratation orale pour ses enfants. Mais c’est finalement elle qui en a eu besoin. « J’étais tellement faible. J’ai perdu beaucoup de poids. »

À la douleur physique s’ajoutait la crainte qu’il arrive quelque chose à ses enfants. Pendant un mois, la mère n’a pas fermé l’œil.

Je ne pouvais pas dormir parce qu’il fallait que je surveille toujours les enfants.

Pascale Louis Jeune

Ce n’est qu’au Costa Rica, où la famille a pu se poser dans un camp de réfugiés, que Pascale a pu souffler un peu pour la première fois, avant de reprendre la route vers le nord jusqu’au Mexique. À Tijuana, la famille a passé environ une semaine dans un camp de migrants, avant de franchir la frontière américaine.

En Californie, après les formalités d’immigration, on a posé un bracelet électronique à la cheville de Pascale pour surveiller ses déplacements, le temps que son dossier chemine devant les tribunaux – une forme de surveillance électronique injustifiée, dénoncée par les organismes de défense des droits des migrants1.

Pascale et ses enfants ont enfin pu prendre un avion pour le New Jersey, où habite son frère. Après quelques semaines, la famille a pris le train jusqu’à Plattsburgh.

Sur la route, Pascale ne cessait d’entendre une voix émanant du bracelet électronique qu’elle portait au pied lui ordonner de retourner « dans sa zone ». Les migrants surveillés de la sorte doivent rester dans un rayon de 113 km (70 miles) de leur demeure et ne sont généralement pas autorisés à changer d’État. Mais elle n’avait pas fait toute cette route pour abandonner son rêve au dernier moment. Pour étouffer le son du bidule, elle a calfeutré sa botte avec des éponges.

De Plattsburgh, la mère a trouvé un taxi pour le chemin Roxham, en suivant les indications que lui avait données son mari. Juste avant de se diriger vers la frontière, elle a réussi à se débarrasser de son bracelet électronique à l’aide d’une petite pince. Elle est montée dans le taxi la cheville enflée, des papillons dans l’estomac, prête pour la dernière étape de ce long voyage.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Migrants faisant leur arrivée au Canada via le chemin Roxham, près de Saint-Bernard-de-Lacolle, en février 2017

C’était une nuit de décembre. Il faisait froid. La mère se rappelle la date comme si c’était celle d’une nouvelle naissance : le 11 décembre 2018.

Rayan s’était endormi dans le taxi. « Je lui ai dit : “Rayan, réveille-toi !” »

Dans un décor enneigé, le cœur battant, avec Jad dans ses bras et Rayan qu’elle tenait par la main, Pascale s’est avancée vers le chemin Roxham, en espérant très fort que cette nuit marque le début d’une nouvelle vie.

Son vœu le plus cher s’est réalisé.

« Ça va rester gravé dans mon cœur toute ma vie, raconte-t-elle avec émotion. J’ai vu un policier aller chercher une couverture de laine. Il a pris Jad dans ses bras. Il l’a enveloppée dans la couverture et est rentré avec elle. Il m’a dit : “Venez, madame.” On a mis un petit matelas au sol et on a fait coucher Jad. Et on a apporté à manger pour les enfants ».

Au bout d’une longue course à obstacles, la mère était épuisée, mais enfin rassurée. Elle a pu appeler son mari pour lui dire qu’ils étaient sains et saufs. Ils pourraient enfin le serrer dans leurs bras. Ils pourraient enfin construire leur nouvelle vie ensemble. Son petit Rayan, qui, en pleine jungle, avait séché ses larmes avec des mots d’espoir, avait eu raison d’y croire.

1. Lisez notre article « La surveillance électronique des migrants en forte hausse »