En écoutant sa mère me raconter leur parcours de Port-au-Prince à Montréal, Rayan avait l’air un brin étonné.

« Je me rappelle avoir marché dans une rivière avec des poissons. Mais je ne savais pas que l’on avait fait tous ces pays ! »

Grâce à sa mère Courage, capable de faire passer une longue traversée des Amériques pour une balade en forêt, le voyage lui a semblé plus court.

Installée dans le quartier Saint-Michel à son arrivée à Montréal, la famille a multiplié les efforts pour reconstruire sa vie. Pascale a très vite commencé à travailler dans une manufacture. Puis, à la Maison d’Haïti, qui a offert à sa famille un soutien inestimable, elle a entendu parler d’une formation pour devenir préposée aux bénéficiaires qu’elle a décidé d’entreprendre.

En novembre 2019, seulement deux mois après la naissance de son troisième enfant, Pascale a commencé à travailler comme préposée. Quatre mois plus tard, lorsque la pandémie a frappé, elle a fait partie de ces travailleurs essentiels que l’on a surnommés « anges gardiens », demeurés au front quand tous les autres désertaient. Elle a ainsi pu obtenir la résidence permanente pour toute sa famille.

Pendant ce temps, dès janvier 2019, Rayan a d’abord été envoyé en classe d’accueil avant d’intégrer son école de quartier l’automne suivant. « On était passés par tellement de pays que parfois il parlait espagnol, parfois il parlait portugais. Il parlait aussi créole, mais pas encore français », raconte sa mère.

Rayan écarquille les yeux, l’air de dire : « Ah bon ? » « Je ne savais pas que je parlais portugais ! »

L’enfant n’imaginait pas non plus qu’après un tel parcours, il allait devenir la star d’un film. Sa mère, encore moins.

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Rayan Dieudonné et Henri Pardo à la première du film Kanaval, qui a eu lieu au Festival international du film de Toronto en septembre 2023

En août 2021, Rayan, qui avait 9 ans, a été repéré par l’équipe du réalisateur Henri Pardo alors qu’il fréquentait un camp de jour de la Maison d’Haïti.

Lorsqu’il s’est rendu à l’audition, sa mère n’y croyait pas trop. Elle savait son fils timide. Elle ne l’imaginait pas retenir par cœur de longs textes. « Jouer dans un film, je pensais que ce serait trop dur pour Rayan. Je me disais : “Comment il va apprendre tout ça ?” »

Mais comme au cœur de la jungle, Rayan, lui, avait confiance. Le dernier jour d’audition, il a dit à sa mère : « Manmi, tu ne crois pas en moi ? Moi, je te dis qu’on va me prendre ! »

La mère avait l’impression que son fils avait lu dans ses pensées. Et c’est précisément ce talent qui a séduit le réalisateur de Kanaval Henri Pardo. « Il était un des plus gênés en audition. Mais on voyait que Monsieur était très intelligent. Il écoutait et captait rapidement tout ce que les adultes disaient. »

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Martin Dubreuil, Claire Jacques, Penande Estime, Rayan Dieudonné, Henri Pardo, Hana Sofia Lopes et Jean Jean à la première de Kanaval au Festival international du film de Toronto en septembre 2023

Une star était née.

Comme les deux parents de Rayan travaillent à temps plus que plein tout en s’occupant de leur petite famille, il leur était impossible de tout arrêter pour accompagner leur fils durant le tournage, dont le premier segment avait lieu en République dominicaine. Sans l’accompagnement précieux de Charles Bottex, alias Monsieur Charles, intervenant social au Bureau de la communauté haïtienne de Montréal, le rêve de Rayan n’aurait pas pu se réaliser, confie Pascale. C’est aussi lui qui a épaulé la mère dans sa volonté de pousser plus loin encore ses études pour devenir infirmière auxiliaire.

Cette semaine sera l’aboutissement de ces deux rêves. Alors que Rayan foulera le tapis rouge jeudi soir pour la première montréalaise de Kanaval, sa mère obtiendra son diplôme d’infirmière auxiliaire vendredi.

Durant le tournage, Monsieur Charles, 77 ans, dont la fille avait déjà donné des cours de piano à Rayan, a agi un peu comme le grand-père de l’enfant. Il a vu à quel point Rayan était investi dans le rôle principal qu’on lui avait confié. « Avec son coach, il a travaillé vraiment fort. C’était extraordinaire. »

Parfois, sur le plateau de tournage, alors qu’il était 3 h du matin et que tous les adultes étaient crevés, Rayan disait au cinéaste : « Henri, on la fait encore ? » « Du début à la fin, c’était lui, l’énergie du plateau. »

Lors de la première du film à Toronto, Pascale et Rayan ont pleuré à chaudes larmes devant une scène, miroir de leur vie, où on voit une mère haïtienne débarquant au Québec marcher dans la neige avec son fils, incarné par Rayan.

« Voir mon fils sur grand écran, c’est quelque chose », dit Pascale, émue.

« Peu importe d’où ils viennent, tous les immigrants vont se reconnaître dans ce film », croit Charles Bottex, qui a lui-même quitté Haïti pour le Québec il y a 53 ans.

« Si on regarde l’histoire de l’Amérique, il y a toujours des gens qui sont arrivés avec rien et qui ont fait leur chemin. C’est du monde courageux. »

Du monde comme Rayan et sa famille qui font tourner le grand carrousel du courage auquel ce film rend hommage.

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