Le nombre de migrants soumis en société à une forme de surveillance électronique tandis que leur dossier chemine devant les tribunaux est en forte hausse aux États-Unis, où une application téléphonique controversée utilisant la reconnaissance faciale s’impose comme l’outil de prédilection des autorités.

Les plus récentes données du service américain de l’Immigration et des Douanes (ICE) indiquent que plus de 200 000 personnes étaient inscrites en avril dans un programme d’« alternatives à la détention » prévoyant une telle surveillance, soit au moins deux fois plus qu’en décembre 2020.

Environ 150 000 d’entre elles dépendaient de l’application SmartLink, comparativement à 5000 quelques années plus tôt.

Développée par une firme du Colorado, B.I. Incorporated, elle permet à la personne inscrite de rapporter régulièrement à distance sa présence aux autorités en prenant une photo qui est comparée à celle archivée au moment de son inscription. L’application relaie du même coup les données de géolocalisation de l’appareil pour confirmer où se trouve le participant.

Layla Razavi, qui dirige Freedom for Immigrants, note que l’administration du président Joe Biden veut développer le programme pour faire passer le nombre de personnes inscrites à 400 000 d’ici la fin de l’année et idéalement réduire le nombre de migrants détenus.

« Je pense que c’est plus facile pour eux de vendre cette approche parce que le public a plus de mal à se faire une idée claire des problèmes découlant du recours à la surveillance électronique que de la détention », dit-elle.

« Moins pire » que le bracelet

Le bracelet électronique, qui a été très largement utilisé par ICE avant que l’application SmartLink ne gagne en popularité, a de lourdes conséquences pour les migrants ciblés, note Mme Razavi.

Une étude menée par son organisation indique que près de 90 % des personnes soumises à cette technologie ont développé des troubles de santé mentale.

Photo SPENCER PLATT, ARCHIVES Agence France-Presse

Une immigrante du Texas porte un bracelet électronique qui transmet sa position géographique aux autorités américaines.

Mme Razavi note que ces chiffres reflètent en partie la stigmatisation sociale découlant du port du bracelet. Nombre de personnes concluent à tort que la personne le portant est un dangereux criminel et cherchent à l’éviter.

Le recours à SmartLink est moins stigmatisant a priori, mais il ne comporte pas moins de problèmes importants, prévient Julie Mao, qui dirige Just Futures Law, une organisation de défense juridique des migrants.

« Ça ne représente pas une solution de rechange à la détention, mais bien une extension du système de détention », explique-t-elle.

Les migrants utilisant l’application, note Mme Mao, doivent composer avec l’idée qu’ils peuvent être suivis en continu par les autorités fédérales et le vivent difficilement.

Dans un communiqué transmis à La Presse, B.I. Incorporated maintient que ses produits respectent toutes les exigences fédérales de protection de la vie privée et ne sont pas utilisés pour « suivre les individus ou recueillir des données » non liées aux exigences d’ICE.

Un groupe d’organisations, dont Just Futures Law, poursuit actuellement l’agence américaine pour savoir quelles données exactement sont recueillies et comment elles sont partagées.

B.I. Incorporated affirme qu’en moyenne, 90 % des rendez-vous de suivi avec des agents d’ICE qui sont requis des participants au programme ont été faits avec succès.

Mme Razavi pense que cette efficacité est moindre que celle que l’on pourrait obtenir en soutenant activement les migrants pour les aider à comprendre le système d’immigration et le processus à suivre.

Encore marginal au Canada

Les organisations canadiennes de défense des migrants consultées par La Presse voient d’un mauvais œil le développement de pratiques de surveillance électronique dans ce domaine.

La directrice générale du Conseil pour les réfugiés, Janet Dench, relève que l’imposition d’un bracelet électronique ou d’une application comme SmartLink est « extrêmement intrusive » et prive « inutilement » la personne visée d’une partie de sa liberté sans garantir qu’elle va se présenter devant les tribunaux au moment requis.

L’Agence des services frontaliers du Canada a lancé en 2018 un projet pilote dans la région de Toronto prévoyant l’utilisation de bracelets électroniques pour favoriser des solutions de rechange à la détention et a « temporairement » élargi l’application de la technologie au Québec pendant la pandémie. Il n’a pas été possible d’obtenir jeudi de chiffres de l’agence sur le nombre de migrants ayant pu être touchés.

Jean-Claude Bernheim, de la Société John Howard du Québec, pense que la pratique reste marginale et doit être évitée au Canada, où la détention de migrants est beaucoup plus rare qu’aux États-Unis.

« Le recours à la technologie est présenté comme une façon efficace de garantir que les procédures vont être menées à terme, mais c’est la précarité qui fait que des gens vont se retrouver hors de la voie à suivre », dit-il.

Plutôt que d’élargir la surveillance, il faut s’assurer, note M. Bernheim, que les migrants disposent du « minimum vital » pour vivre en société et s’orienter dans le processus administratif lié à leurs efforts de régularisation de statut.