Le Canada a contribué plus que sa part en Afghanistan. Voilà l'argument que le gouvernement Harper invoque à Washington, Bruxelles et Kaboul depuis plus d'un an afin de justifier la décision de retirer le gros du contingent militaire canadien de Kandahar en 2011. Ceci ne peut que créer des tensions avec ses alliés.

L'argument est certainement fondé. Après tout, les Canadiens ont proportionnellement perdu un plus grand nombre de soldats au combat que n'importe quel autre pays combattant en Afghanistan. Mais le fardeau militaire qu'assume le Canada doit être relativisé. Avec un total de 3200 militaires déployés partout dans le monde (dont près de 90% sont en Afghanistan), le Canada fait piètre figure comparativement à des pays de même envergure internationale.

 

Par exemple, l'Italie déploie plus de 8000 soldats à l'étranger, alors que la Pologne, avec une population légèrement supérieure à celle du Canada et malgré un environnement géopolitique beaucoup moins sécuritaire que l'Amérique du Nord, déploie actuellement des centaines de soldats de plus que le Canada à l'extérieur de ses frontières.

Ce qui explique ce décalage est simple: le Canada ne s'investit militairement que dans un seul pays, et ce, au détriment des opérations de paix en Europe, au Proche-Orient et en Afrique. La contribution militaire canadienne est donc proportionnelle au niveau international. Ce n'est que parce que le Canada a volontairement pris la responsabilité sécuritaire d'une des provinces les plus dangereuses d'Afghanistan que ses soldats courent davantage de risques que leurs alliés italiens et polonais. Bref, il est hasardeux d'affirmer sans ambages que le Canada assume davantage que sa «juste» part du fardeau militaire international.

Cette constatation permet de qualifier les appels, de plus en plus fréquents et insistants au pays comme en Europe, à ce que le gouvernement Harper dévoile la stratégie militaire canadienne post-2011. En effet, si le Canada retire son groupement tactique de Kandahar (celui qui mène l'essentiel des opérations offensives) et ses hélicoptères de combat, ne maintenant ainsi qu'une présence humanitaire minimale (les équipes de mentorat et de reconstruction), la contribution du Canada à la sécurité internationale serait équivalente à celle de la Nouvelle-Zélande, un pays presque 10 fois moins populeux que le Canada.

En se retirant d'Afghanistan sans engagement ailleurs dans le monde, le Canada aurait ainsi légitimement droit à la même critique qu'il martèle à ses alliés européens depuis des années: augmentez votre contribution militaire internationale.

Un tel scénario représenterait d'ailleurs une exception historique. Depuis 1991, le Canada déploie en moyenne plus de 4000 soldats à l'étranger. L'engagement militaire actuel en Afghanistan constitue donc une exception: le Canada contribue moins, en termes de nombre de soldats sur le terrain, que par le passé.

Il s'agirait également d'une exception en termes des raisons qui motivent les décideurs politiques canadiens à engager le pays dans des conflits internationaux. Trois motifs ont été évoqués tour à tour jusqu'à présent. Le Canada s'est investi en Afghanistan soit pour des raisons de sécurité (empêcher que l'Afghanistan ne redevienne un refuge pour le terrorisme international), humanitaires et idéologiques (aider la population afghane et instaurer un régime démocratique), ou de prestige. C'est ce dernier argument qui se révèle le plus convaincant.

Comme l'indiquait le rapport Manley en 2008, le rôle de leader que le Canada s'est acquis à Kandahar lui «confère une influence et une crédibilité notables». S'il abdiquait cette responsabilité, le Canada perdrait sa «réputation de fiabilité qu'il s'est taillée sur la scène internationale» ainsi que «sa capacité d'influer sur le règlement des crises à l'avenir».

Puisqu'il est assuré que les autorités politiques fédérales ne souhaitent pas que le Canada perde de sa réputation internationale, durement gagnée grâce au sacrifice de jeunes hommes et femmes, il est possible de prédire que la stratégie post-2011 du Canada inclura un engagement militaire significatif en Afghanistan ou ailleurs. Toutefois, préciser aujourd'hui où dans le monde le Canada pourra préserver sinon accroître son prestige international demeure illusoire. Tout dépend d'où l'attention de Bruxelles et de Washington convergera.

Justin Massie

L'auteur est doctorant à l'Université Queen's et chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en politiques étrangère et de défense canadiennes de l'UQAM.