Tous se souviennent avoir vu ces immenses structures faites de dominos, exigeant que chaque pièce soit en place de façon exacte pour que leur retombée bien ordonnée permette de créer une figure splendide et dont la formation est spectaculaire. Une pièce manque ou est mal placée et l'effet est raté.

Le système de santé doit avoir la même exactitude, précision et prévision pour dispenser des soins adéquats et en temps opportun à chacun de ceux qui en ont besoin.

Les gestionnaires de la santé et les gouvernements successifs qui lui donnent son orientation devraient, à mon humble avis, s'assurer de bien connaître toutes ses composantes et comprendre leur rôle dans l'organigramme des soins. De plus, ils doivent travailler pour permettre une redondance de procédures afin de garantir la desserte de soins si l'une d'entre elles venait à faire défaut.

La crise des radio-isotopes démontre malheureusement la fragilité des différentes composantes du système de santé canadien et l'absence de prévisions pour assurer les soins actuels et futurs dont devraient profiter les patients canadiens.

Pour les patients qui souffrent d'un cancer, la médecine nucléaire sert à établir le diagnostic de leur condition, à déterminer le stade de la maladie et à choisir le traitement du cancer.

Prenons l'exemple d'une patiente ayant une masse cancéreuse au sein. Plusieurs composantes doivent tomber en place pour qu'un oncologue puisse décider du traitement le plus approprié : un rapport de pathologie adéquat, complet et reproductible (tel que mis en évidence de façon malheureuse et inquiétante récemment au Québec), mais aussi des examens de radiologie et de médecine nucléaire qui doivent être réalisés dans un temps médicalement raisonnable.

La réduction de l'accès à ces investigations entrave et engorge le système. Il oblige à l'utilisation d'autres mesures diagnostiques compensatrices parfois non validées, voire imprécises, souvent plus coûteuses, pour ne pas dire inaccessibles à plusieurs par manque de disponibilité.

La pénurie de radio-isotopes nous force donc à repenser dans un temps beaucoup trop court la façon de traiter une pathologie cancéreuse et d'organiser le système de santé pour permettre un accès raisonnable à tous.

La situation est encore plus troublante quand on pense aux patients dont la pathologie demande un traitement par des radio-isotopes, et pour lequel cette option est la principale source d'une potentielle guérison ou amélioration de l'état de santé. Il semble évident pour toute personne bien avisée qu'il faut définir, spécifier et appliquer les mesures faisant en sorte que RIEN ne pourra entraver la disponibilité de ces soins si spécifiques.

Et un gestionnaire aussi bien conscient de l'évolution de la médecine saurait que l'oncologie s'est investie au cours des dernières années dans le développement de molécules marquées par des radio-isotopes pour toucher spécifiquement les cellules cancéreuses dans un but de plus grande efficacité et de réduction des effets secondaires des traitements traditionnels.

L'arrêt du réacteur de Chalk River et de la production de radio-isotopes fait ressortir deux horreurs. D'abord, les patients souffriront dès à présent de mesures diagnostiques et thérapeutiques réduites. Ensuite, l'impact tout aussi horrible sur la reconsidération donnée aux thérapies nouvelles qu'on ne voudra pas dépendantes d'installations vétustes et sujettes aux imprévisions de gouvernements et gestionnaires qui ne méritent probablement pas de conserver leurs postes.

À la suite de ces événements, le Canada perdra certainement sa primauté dans le domaine de la production de radio-isotopes. Mais avec cela, il y a la perte de toute l'opportunité dont le Canada profitait d'être une figure de proue dans la mise au point de traitements novateurs en oncologie.

Pour les patients d'aujourd'hui qui vivent les délais et l'angoisse, pour l'obligation de repenser à la sauvette l'investigation de milliers de cas de cancer au Canada et ailleurs dans le monde, pour l'arrêt de la recherche de traitements novateurs, il semble clair que quelqu'un ou plusieurs personnes doivent justifier leur inaction ou assumer les conséquences.

L'auteur est hématologue et oncologue médical au CHUM.