À la suite de la situation économique difficile, un débat fait rage sur les modifications à apporter au programme d'assurance emploi. A priori, celui-ci est pertinent. Il semble toutefois que ses principaux acteurs aient perdu de vue qu'une récession entraîne non seulement une hausse du nombre de chômeurs, mais également un allongement de la durée moyenne du chômage. Plus tôt que tard, ce problème de nature fédérale pourrait d'ailleurs faire pâtir les finances publiques provinciales.

De fait, une fois leurs prestations d'assurance emploi épuisées, les chômeurs n'ont d'autre choix que d'avoir recours aux filets sociaux provinciaux pour faire face à leurs obligations financières. Les données statistiques sur le Québec montrent qu'il y a effectivement un transfert de bénéficiaires du programme d'assurance emploi vers les programmes d'assistance sociale. Celui-ci survient environ 12 mois après le début de la période de chômage.

 

Ce transfert de prestataires du programme fédéral vers les programmes provinciaux n'est pas sans poser problème. En période de ralentissement économique, la durée moyenne du chômage s'accroît puisque les travailleurs qui ont perdu leur emploi peinent à s'en trouver un nouveau. Si ce scénario se répète à la faveur de la récession actuelle, les gouvernements provinciaux pourraient être confrontés à une hausse marquée des coûts de leur programme d'assistance sociale. Or, depuis 1996, ceux-ci ne touchent plus de subventions du gouvernement fédéral liées directement aux dépenses d'aide sociale.

Il est vrai qu'avec l'adoption du dernier budget fédéral, la durée maximale des prestations a temporairement été allongée de 45 à 50 semaines. Pourtant, les propositions de réforme du programme qui ont le plus fait discuter depuis visent surtout une meilleure accessibilité à l'assurance emploi. De l'abolition du délai de deux semaines avant de recevoir des prestations à l'uniformisation et à la réduction du nombre d'heures travaillées requis pour être admissible, toutes ces propositions méritent certainement d'être considérées. Elles ne répondent toutefois pas au problème de finances publiques engendré par le transfert des prestataires.

Pis encore, elles abordent la révision du programme d'assurance emploi isolément, sans tenir compte des effets de ces changements sur les incitations données aux travailleurs. Or, toute modification à l'assurance emploi a un impact sur l'offre de travail et, par ricochet, sur les entrées fiscales des gouvernements. L'adoption d'une modification apparemment mineure à ce programme peut donc résulter dans une baisse des impôts perçus.

Notre propos ne vise pas à ajouter au fardeau que vivent les familles touchées par les pertes d'emplois. Il ne vise pas non plus à nier la nécessaire révision du programme d'assurance emploi, dont la dernière réforme date de près de 15 ans.

Nous croyons toutefois qu'il importe d'aborder la modification de ce programme avec un certain recul. Pour prendre les meilleures décisions, il faut soupeser l'efficacité et l'impact de chaque modification envisagée. Est-ce qu'un nombre d'heures travaillées uniforme pour être admissible est souhaitable? Rendra-t-il les prestations d'assurance emploi plus faciles à obtenir dans des régions du pays au détriment d'une certaine équité interrégionale? Quel impact aurait une abolition du délai de deux semaines sur la prudence des ménages? Seraient-ils incités à réduire leur épargne pour les jours plus difficiles? Est-ce que l'allongement actuel des prestations sera suffisant pour éviter d'augmenter les dépenses des gouvernements provinciaux déjà accrues par la récession, entre autres pour participer au programme de relance du gouvernement fédéral?

Le risque sur les finances publiques, notamment provinciales, est trop grand pour se permettre d'adopter une réforme à la pièce. Le Globe and Mail a publié récemment une opinion de Charles Cirtwill, de l'Institut AIMS, qui proposait de créer une véritable assurance contre le risque de perte d'emploi en temps de récession. Cette assurance complémenterait le programme actuel d'assurance emploi, sans empêcher la réforme de celui-ci. Voilà exactement le genre de réflexion structurelle qui doit alimenter le débat actuel et dont l'étude risque pourtant d'être compromise advenant l'adoption d'une réforme prématurée.

Les auteurs sont respectivement professeur au département d'économie de l'Université de Montréal et fellow au CIRANO, et économiste et directeur de projet au CIRANO.