Le chroniqueur Yves Boisvert propose que la justice puisse décerner des certificats d'illégalité aux hors-la-loi notoires que sont les Hells Angels. À son avis, c'est «simple, juridiquement solide, socialement utile, policièrement pertinent et, en plus, populaire.» Va pour l'argument de la popularité. Pour le reste, l'argumentaire porte à faux.

De l'aveu même d'un policier spécialisé en la matière, la visibilité des Hells facilite la collecte de renseignements. Les mariages, les funérailles, les expéditions de moto, le va-et-vient aux bunkers permettent aux escouades policières d'enrichir l'album de famille.

 

Certes, les policiers n'ont jamais eu besoin de voir et revoir des images de Mom Boucher en costume de motard pour soupçonner qu'il était un mauvais garçon. Cependant, c'est toujours utile de pouvoir repérer et identifier les sympathisants des Hells, les apprentis et les hommes de main, y compris leur escorte. Après avoir décapité la pieuvre, les policiers ont grand intérêt à connaître la relève.

Les listes noires

Inspiré par la loi antiterroriste, Yves Boisvert propose l'adoption d'une loi permettant à un juge de déclarer une organisation illégale. En somme, la justice dresserait une liste noire des hors-la-loi. Il s'agit d'un doublon puisque des jugements ont déjà reconnu que des membres des Hells constituaient une organisation criminelle.

Quelle est donc l'utilité de cette démarche? Au lendemain d'une déclaration judiciaire incriminant tous ceux qui affichent les couleurs des Hells Angels, parions que les motards vont changer d'appellation. Ça pourrait être les Black Angels. La palette des couleurs est large. Chaque déclaration judiciaire subséquente interdisant une appellation serait peut-être suivie d'une nouvelle appellation. Ce jeu du chat et de la souris ne servirait en rien l'administration de la justice.

Quant à la saisie et la confiscation des produits de la criminalité, les forces policières ont à leur disposition des pouvoirs dont ils font usage sans ménagement. À ce jour, les policiers ont souvent soustrait aux Hells la partie visible et palpable de leurs gains illégaux. Pour le reste, une liste noire ne permettrait pas d'en faire davantage à ce chapitre.

À propos de la rafle policière survenue pendant la crise d'Octobre en 1970, Yves Boisvert estime que le «problème n'est pas dans la déclaration d'illégalité: il est dans le fait qu'on avait suspendu les libertés civiles...» Minute! La liste noire dressée par les forces policières visait les «sympathisants» du FLQ, au même titre que les principaux acteurs de l'organisation terroriste. L'abus fut rendu possible par la discrétion reconnue aux policiers de décider qui était un «sympathisant». Ce dérapage n'a rien à voir avec la suspension des libertés civiles et de l'habeas corpus.

Si la proposition formulée par Yves Boisvert devait être envisagée par le législateur, il y aurait lieu d'être inquiet. La technique des listes noires permet parfois des dénis de justice. La déveine du citoyen canadien d'origine soudanaise Abousfian Abdelrazik en témoigne. Sorti de prison, sans jamais avoir été jugé, ce malheureux réside à l'ambassade canadienne au Soudan depuis un an. Son nom figure sur une liste d'interdiction de vol de l'ONU. La Canada a tenté sans succès, en 2007, de faire biffer son nom.

Curieusement, le ministre des Affaires étrangères Lawrence Cannon refuse de lui donner un passeport, au motif que cet homme pose un risque pour la sécurité nationale. Pourtant, la GRC et le Service canadien de renseignement (SCRS) ont indiqué que rien ne permettait d'associer Abdelrazik à des activités criminelles.

La justice administrée à coup de listes noires donne ouverture au détestable concept de culpabilité par association, lequel repose habituellement sur des soupçons et des informations non vérifiables. Parlez-en à Maher Arar!

L'auteur est avocat.