Stephen Harper a affirmé que les partis de l'opposition n'avaient «pas le droit» de former le gouvernement sans qu'il n'y ait de nouvelles élections. Qu'en est-il exactement? Que peut ou que doit faire la gouverneure générale si, après avoir perdu un vote de confiance, Stephen Harper lui demandait de déclencher de nouvelles élections?

Les règles du jeu à ce sujet ne sont pas fixées par la loi, mais plutôt par des conventions constitutionnelles qui découlent de précédents solidement assis sur les principes fondamentaux de notre régime démocratique parlementaire. Deux d'entre elles ne font aucun doute. Premièrement, le gouvernement doit bénéficier du soutien de la Chambre des communes, et le gouvernement qui perd ce soutien doit démissionner. Deuxièmement, sauf circonstances exceptionnelles, la gouverneure générale doit suivre les recommandations du premier ministre.

Ainsi, lorsque le premier ministre perd la confiance des Communes, il doit normalement demander à la gouverneure générale de déclencher des élections. Cependant, les auteurs qui ont étudié cette question en détail s'entendent pour dire qu'il y a exception à cette règle lorsque des élections générales viennent tout juste d'avoir lieu, ce qui est le cas aujourd'hui. Dans cette situation, la gouverneure générale peut demander au chef d'une autre formation politique de gouverner si celui-ci est soutenu par une majorité de députés, peu importe qu'il y ait coalition formelle ou simplement entente tacite entre les partis formant cette majorité.

C'est ce qui est arrivé en Ontario en 1985, lorsque les libéraux et les néo-démocrates se sont entendus pour faire tomber le gouvernement conservateur. Le chef libéral David Peterson a été appelé à former un gouvernement qui a duré deux ans.

L'exemple de 1926

Si le chef défait peu de temps après des élections devait s'entêter et réclamer d'autres élections, on s'entend généralement pour dire que la gouverneure générale serait en droit de refuser cette demande. C'est ce que le gouverneur Byng a fait, en 1926, lorsqu'il a refusé la demande du premier ministre King de dissoudre le Parlement, quelques mois à peine après des élections.

Par ailleurs, M. Harper a soutenu que les partis de l'opposition cherchaient à «renverser» le résultat des élections. D'autres ont même employé l'expression de «coup d'État», avec ou sans qualificatifs. En cette période d'effervescence, il est important de remettre les pendules à l'heure et de rappeler les principes de base. Dans une situation minoritaire, aucun parti n'a véritablement «gagné» les élections, pas même celui qui a obtenu le plus grand nombre de sièges. Dans cette situation, le parti qui arrive au deuxième rang peut légitimement former le gouvernement s'il est soutenu par d'autres partis, comme ce fut le cas de King en 1925 ou de Peterson en 1985.

Le parti qui a le «droit» de gouverner est celui qui peut obtenir la confiance de la majorité des députés, que ce soit au cas par cas, comme M. Harper l'a fait depuis deux ans, ou que ce soit au moyen d'une entente formelle, comme celle qui vient d'être annoncée entre les libéraux, les néo-démocrates et les bloquistes. Ainsi, il serait tout à fait compatible avec les principes de la démocratie que les trois partis qui forment actuellement l'opposition s'unissent pour prendre le pouvoir: ensemble, ils sont majoritaires à la Chambre des communes; ensemble, ils ont «gagné» les élections du 14 octobre dernier. La gouverneure générale devrait donc refuser une éventuelle demande de M. Harper de déclencher des élections.

L'auteur est doyen par intérim de la section de droit civil de l'Université d'Ottawa.