Tandis que la campagne fédérale entre dans sa phase finale, la question principale, et virtuellement la seule, est évidente. Les électeurs québécois continueront-ils de soutenir le Bloc, privant ainsi Stephen Harper d'un gouvernement conservateur majoritaire, ou seront-ils suffisamment nombreux à abandonner le Bloc pour assurer une majorité conservatrice? Fait passablement surprenant, l'histoire politique de l'Alberta peut fournir quelques pistes utiles au moment où les Québécois s'interrogent sur leur choix.

En 1935, le parti du Crédit social s'est installé au pouvoir en Alberta et, lors des cinq élections fédérales suivantes, les députés du Crédit social ont dominé également le scrutin fédéral dans la province. Conséquence? Les Albertains ont été isolés dans la capitale nationale, leurs représentants formant un petit groupe à la Chambre des communes sans réel pouvoir, sans influence, sans voix. À l'époque, l'Alberta n'avait rien du poids démographique du Québec d'aujourd'hui, et l'élection de députés du Crédit social ne faisait que renforcer la réputation de la province d'être une insignifiante région reculée.

 

Les électeurs albertains ont retrouvé le courant politique principal en 1958 lorsqu'ils ont été emportés par le raz-de-marée du Parti progressiste-conservateur de John Diefenbaker, comme les électeurs au Québec.

La différence, c'est que les Albertains sont demeurés énergétiquement dans le camp conservateur au cours des 10 élections fédérales suivantes. C'était une stratégie risquée à une époque où les libéraux dominaient la scène nationale, mais au moins, les Albertains soutenaient un parti qui pouvait espérer ravir le pouvoir, espoir qui a été brièvement récompensé par Joe Clark et, de manière plus substantielle, par Brian Mulroney.

Tout cela a changé radicalement, en 1993, lorsque les Albertains ont abandonné les progressistes-conservateurs pour le Reform Party tout comme les électeurs québécois hors de Montréal ont abandonné à la fois les conservateurs et les libéraux pour le Bloc.

Au cours des années subséquentes, les Albertains ont soutenu que le gouvernement fédéral ne comprenait ni ne reflétait leurs intérêts, situation qui était presque inévitable étant donné leur absence virtuelle autour de la table du cabinet fédéral. Bien que la ministre libérale Anne McClelland combattît pour sa province, il n'a fait aucun doute que l'Alberta a pâti de son isolement volontaire.

Lorsqu'il est devenu évident que le Reform, dont la base se trouvait dans l'Ouest du pays, ne pouvait pas former un gouvernement national, les Albertains se sont faits les moteurs de la création du nouveau Parti conservateur et ils ont contribué à propulser ce parti vers une victoire en 2006, victoire qui a donné un gouvernement minoritaire à Ottawa.

En bref, les Albertains avaient décidé d'entrer dans la danse, ayant compris à la dure que soutenir des partis incapables de former un gouvernement national met en danger les intérêts de la province.

La leçon qui s'applique aux petites provinces comme l'Alberta s'exprime ainsi: se réfugier dans les gradins plutôt que de participer au jeu est une stratégie perdante, et il est essentiel de disposer d'une voix forte au sein du cabinet et du caucus du parti au pouvoir. Il est possible que seules les grosses provinces comme le Québec puissent se permettre un splendide isolement à la Chambre des communes; bien aise de savoir que les députés du Bloc n'ont absolument aucun pouvoir, le Québec lui-même conserve une influence indéniable sur la scène nationale même si le premier ministre n'est plus issu du Québec.

Il se peut qu'une représentation efficace à la Chambre soit sans pertinence pour le Québec, parce que la province elle-même ne peut jamais être sans pertinence, alors que pour l'Alberta, la menace de la non-pertinence est toujours présente. Les Québécois peuvent peut-être se permettre d'être des spectateurs tandis que les Albertains n'ont pas d'autre choix que de participer au jeu.

L'auteur est président du conseil et PDG de Canada West Foundation, un groupe de recherche en politique publique de Calgary.