Chère collègue, vous demandez si vous êtes la seule à être épuisée par l'intégration. Non! Je vous assure que nous sommes des centaines, voire des milliers, à l'être. Nous ne sommes pas tous en arrêt de travail, mais pourtant, nous en subissons tout autant les contrecoups.

Chez nous, l'intégration se pratique depuis plus de 25 ans et nous sommes une majorité à pouvoir affirmer qu'elle fonctionne très mal et qu'elle donne peu de résultats positifs.

Il y a certes des cas heureux d'élèves qui en sont sortis grandis. Mais en général, ce n'est tout simplement pas le cas. Les enseignants s'épuisent, se démotivent et se culpabilisent à essayer de faire fonctionner une pratique irréaliste. Les élèves en difficulté et leurs parents se font bercer d'une année scolaire à l'autre dans la douce illusion qu'on pourra tous les aider.  On adapte, modifie et simplifie le matériel qui leur est destiné. Comme si nous étions des experts en la matière. Mais à quel moment de ma carrière suis-je devenu un expert en orthopédagogie, moi qui suis généraliste au primaire?

Ne cherchez pas le véritable support d'experts en classe; il y en a très peu. Parmi mes 50 élèves (deux classes) d'immersion française, un nombre considérable a des besoins spéciaux. Est-il réaliste de s'attendre à ce que je crée, jour après jour, des programmes individualisés qui correspondent fidèlement à tous leurs besoins? Et même si de tels programmes étaient créés pour moi, comment parviendrais-je à les appliquer tout en enseignant le programme régulier pour le reste de mes élèves?

Entre les besoins sociaux, émotifs, psychologiques, comportementaux et cognitifs des uns, les autres tentent de compléter une année scolaire profitable et agréable. Oh, le beau défi pour l'enfant qui a la chance de ne pas avoir de difficultés à l'école! Car après tout, le programme de la classe n'est plus guidé par un profil d'élèves qui fonctionnent bien. Au contraire, ces élèves ne trouvent plus leur place puisque l'enseignant doit faire tellement d'adaptations et tolérer tant d'interruptions que le programme est de plus en plus vidé de son contenu académique. Est-il concevable et raisonnable que l'école privée soit de plus en plus perçue comme la solution à ce brouillamini?

On ne compte plus les heures passées à tenter de créer des activités adaptées à tel au tel enfant. Les réunions avec des spécialistes de ceci et de cela sont légion et ont généralement lieu au moment où je voudrais manger un sandwich calmement parmi mes collègues, et peut-être, tiens, parler de pédagogie. De plus, les conseils qu'ils nous  prodiguent sont tels que nous ne suffisons pas à la tâche. Une telle complaisance s'est immiscée dans notre système d'éducation que nous en avons oublié une vérité essentielle: nous ne sommes pas tous identiques. Certes, plusieurs enfants au cas lourd tels que les autistes verront une accompagnatrice les suivre plus ou moins régulièrement. Pour le reste, je suis pratiquement seul au monde. Quand un enfant accumule les retards de développement et qu'il ne peut toujours pas lire en 4e année, croyez-vous vraiment que l'enseignant parvient à l'aider parmi les 25-30 autres? Et que dire des enfants qui mordent ou qui lancent des chaises?

Nous aimons les enfants et nous réclamons le droit de leur prodiguer une éducation qui leur convient. S'ils ont des besoins particuliers qu'on leur donne les pleins services auxquels ils ont droit et qu'on arrête de faire l'autruche. En éducation, la taille unique n'existe pas! Ma classe n'est pas, et ne sera jamais, le meilleur endroit pour tous les enfants sans égard à leurs caractéristiques et à leurs besoins.

Madame Bachand, je vous souhaite chaleureusement de retrouver la sérénité et le plaisir d'enseigner. Je vous répète que nous sommes une sacrée gang à être exténués par l'intégration. Au bout du compte, tout ce que nous réclamons c'est de pouvoir enseigner d'une manière juste et dans le respect des différences!

Que ceux que l'intégration épuise se manifestent!