Pour une troisième fois, se tient cette semaine le Sommet du millénaire de Montréal. Axé essentiellement sur une conception médiatique de la lutte à la pauvreté, le sommet met encore une fois l'éclairage sur une série de vedettes locales et internationales, provenant entre autres de l'industrie culturelle, afin de nous conscientiser aux problèmes de la pauvreté dans le monde. Malheureusement, cet évènement, qualifié de manière assez présomptueuse de «Sommet du millénaire», est fondé sur des prémisses qui sont fausses. Elles sont au nombre de quatre.

La première prémisse, c'est de continuer à donner l'image aux Occidentaux que le problème de la pauvreté est d'abord un problème de santé, de salubrité, d'accès aux ressources de base. À la lumière d'un étayage d'exemples de cette nature : famines, mauvaises conditions sanitaires, paludisme, sida, etc., on vise à créer un état de choc chez l'humain du Nord, afin de pouvoir quémander sa petite contribution. Je ne nie pas qu'un travail de conscientisation demeure prioritaire, mais à force de lier le problème de la pauvreté dans le monde à un verre d'eau sale, on s'éloigne toujours un peu plus des vrais enjeux qui sont de nature essentiellement politique. On entretient l'illusion qu'une fois l'eau devenue propre, les disparités seront comblées. La seconde prémisse, c'est que les vedettes sont nécessaires pour parler et mobiliser autour de cette question. Comme si les Val Kilmer de ce monde pouvaient prétendre que leurs présences quasi factices avaient un effet réel sur les rapports de pouvoir qui engendrent la pauvreté dans le monde. Il est vrai que cette star est engagée dans une multitude de causes. Il est également vrai que l'implication d'une Mia Farrow est plus que respectable et louable.

Toutefois, sur le fond, on peut parler ici d'une «bonoisation» de la pauvreté. Un effet pervers nous attend alors : médiatiquement, sans les stars, la problématique s'éclipse, disparaît des radars. Un tel processus agit au mieux comme un «plaster», au pire comme une mystification, qui nous éloigne encore une fois des vrais enjeux. Les changements ne peuvent passer que par des concertations réelles, impliquant les acteurs sociaux des régions du monde concernées, les femmes et les hommes qui vivent cette pauvreté, ce qui commande une tout autre logique d'actions.

La troisième fausse prémisse, c'est que la solution passe par une approche qui va de haut en bas, du Nord au Sud, de la Banque mondiale vers les communautés rurales. Dans cette logique, les occidentaux sont ceux qui savent, et qui vont permettre par leur altruisme, la charité, et pourquoi pas grâce à une moins grande cupidité, à changer la répartition de la richesse. Cette logique d'action est encore omniprésente en occident face aux difficultés vécues tant par les pays du sud, que par les pauvres et les exclues des pays du nord.

Or, si le Nord se doit de faire sa part, c'est d'abord en arrêtant de penser et de décider pour le Sud, et pour la Terre entière, de ce qui est bon pour les autres. Qu'il n'y a pas que les grandes institutions du Nord, celles présentent à Davos, qui peuvent et doivent orienter le devenir des pauvres et des travailleurs du sud et du nord.

On aimerait dans un tel évènement entendre d'autre voix. D'abord celles de ces femmes et de ces hommes qui vivent la pauvreté au Nord comme au Sud. Les entendre nous raconter leurs histoires, leurs parcours de vie, et surtout nous dire ce qui se passe chez eux et ce qu'ils attendent de nous. On aimerait entendre plus la voix d'organismes non gouvernementaux véritablement engagés, au Nord comme au Sud, dans la lutte à la pauvreté.

Malheureusement, ou heureusement, ils sont majoritairement ailleurs. Ils évitent le cirque médiatique de ce nouveau Davos de l'humanitaire. À moins qu'ils n'y soient points invités. Pour les rencontrer, il faut se rendre soit au Forum social mondial ainsi qu'au forum social québécois, là où se croisent les organismes issus et représentant vraiment la nouvelle société civile.

Enfin, la quatrième et dernière fausse prémisse, c'est de penser que la richesse se redistribue selon une logique d'aide, en fonction des besoins. Qu'il suffit de demander, d'interpeller, d'allumer la lumière sur le problème, pour les choses changent.

La pauvreté ici comme ailleurs ne peut se régler sans qu'il n'y ait une transformation des rapports sociaux, économiques et politiques à l'échelle du globe. Dans la mesure où les communautés et les gens du sud auront les moyens de décider ensemble de leurs propres avenirs, nous pourrons assister à certains changements.

En ce sens, certains chemins ont été entrouverts. Prenons par exemple le travail d'appropriation économique par le microcrédit, tel que promu par Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix. D'autres avenues sont donc nécessaires afin de modifier les rapports de pouvoir, de donner l'occasion aux gens pauvres de prendre ensemble les décisions nécessaires qui concernent leur avenir, et celui de leur communauté.

Au final, c'est de démocratie dont il question ici. La pauvreté au Nord et au Sud témoigne avant tout d'un déficit de démocratie, d'une impossibilité d'exercer sa citoyenneté. Dès lors, on ne peut qu'espérer qu'à l'avenir les rencontres sur cette question soient à l'image de cette nécessaire démocratisation du monde.

L'auteur est professeur à l'École de travail social de l'UQAM.