Il y a des matins où tu n'as pas envie d'entendre les bonshommes à la télé. Même ceux de Télé-Québec te tapent sur les nerfs.

Tu as envie de silence et d'une bougie allumée, même si le jour vient de se lever. Ton corps te dit d'aller te coucher, ton coeur te demande de peser sur play, quatorze fois, pour les quatorze albums de Leonard. C'est tout ce que tu ferais de ta journée : peser quatorze fois sur play, couchée. Il y a des matins où tu aurais besoin de poésie et de rien d'autre.

Mais il y a ton enfant à qui tu dois brosser les dents, et la vie doit continuer. Tu n'as pas pu prendre congé quand ta grand-mère est morte, alors voir que tu ferais ça pour un chanteur ! Et là, out of nowhere, ton enfant tannée de regarder ses bonshommes pour la première fois de sa vie entre dans la salle de bains sans cogner et te demande : « Maman, c'est qui, Dieu ? » On dirait qu'ils ont un don pour ça, entrer dans la salle de bains à de drôles de moments et poser des questions qui bousculent.

Tu regrettes quasiment de l'avoir envoyée à une garderie multiculturelle et tu as juste envie de répondre : « Dieu n'existe pas, tabarnak, comme le père Noël, d'ailleurs. » Mais tu ne peux pas faire ça à un enfant de 4 ans. Il faut que tu lui brosses les dents en répondant judicieusement à toutes ses questions.

***

Comme quelques jours avant, quand tu conduisais avec le soleil entrant par le toit ouvrant. Tu t'apprêtais à ouvrir la radio pour des chansons d'autoroute. Mais de son siège en arrière, out of nowhere, ton enfant t'a lancé : « Le papa de mon papa est mort, hein, maman ? »

- Oui, il est mort.

- Il est mort quand ?

- Quand ton papa avait 18 ans. Ça fait longtemps. C'est pour ça que tu ne le connais pas.

- Et ton papa aussi est mort, hein, maman ?

- ...

Non, il n'est pas mort. Estie. Ta gorge se noue et en plus, tu as besoin de te concentrer sur la bretelle d'autoroute. Ton enfant attend toujours, alors tu lui réponds : « Non, il n'est pas mort. » Comment tu vas lui expliquer pourquoi elle ne voit pas son grand-père même s'il n'est pas mort, ça, par contre, tu n'en as aucune idée encore. C'était un matin où tu avais juste envie d'écouter des chansons qui rendent de bonne humeur.

- Est-ce que tu le vois quand je ne suis pas là, ton papa ?

- Non, je ne le vois pas.

- Alors est-ce que tu t'ennuies de ton papa, maman ?

- ...

C'est à ce moment précis qu'une larme coule, et tu penses que ton enfant ne la verra pas si tu ne regardes pas dans le miroir.

 - Je comprends. Moi aussi, mon papa il est vivant, je le vois tous les jours et je m'ennuie quand même de lui des fois. Je te comprends, maman.

Tu lui as donc brossé les dents même si tu penses à Leonard Cohen et que tu n'as pas encore brossé les tiennes.

Vous marchez jusqu'à la garderie et elle n'a pas oublié sa question. Les enfants n'oublient jamais leurs questions.

- À la garderie, Kyle m'a dit que Dieu est invisible. Est-ce que c'est vrai, maman ?

- Dieu n'existe pas, mon amour. Mais il y a des gens qui disent que Dieu existe, que c'est un homme dans le ciel qu'on ne voit pas qui les aide. Ça leur fait du bien de penser ça.

- Qu'est-ce qu'il fait dans le ciel ? Il s'amuse à voler ?

- Il fait ce que tu as envie de croire, ma cocotte. Comme tous ces amours invisibles qui ne sont plus présents. Ils peuvent voler, ils peuvent danser, ils peuvent chanter. Ce soir, on va écouter ensemble des chansons que ta maman aime beaucoup, d'accord ?