Comme la presque totalité des sondeurs et membres de la politique américaine, plusieurs observateurs au Québec (moi inclus) s'attendaient à une victoire d'Hillary Clinton mardi dernier et qu'elle devienne la première femme de l'histoire américaine à accéder au poste de président.

Or, surprise ! Son imprévisible et, pour plusieurs, imbuvable adversaire Donald Trump a remporté l'élection et est devenu le 45e président des États-Unis. Mme Clinton a bien obtenu plus de votes de l'électorat américain, mais elle n'a pas remporté les 270 grands électeurs du Collège électoral requis pour être le prochain occupant de la Maison-Blanche.

Force est de reconnaître que Donald Trump a déjoué tous les calculs à partir des primaires républicaines, où il a défait 16 autres candidats, jusqu'au rendez-vous du 8 novembre dernier.

Une campagne atypique mais aussi fort nocive. Aujourd'hui, plusieurs observateurs notent que cette campagne a choisi le candidat le moins bien préparé et certainement le moins conventionnel pour devenir le prochain commandant en chef des États-Unis.

Fort controversé, avec son discours populiste et nativiste, parfois xénophobe, vulgaire et grossier dans ses propos, Trump a battu avec aisance l'establishment du Parti républicain et certains candidats d'expérience comme l'ex-gouverneur de la Floride Jeb Bush, le sénateur Ted Cruz du Texas, le gouverneur de l'Ohio John Kasich, entre autres.

Son utilisation des médias sociaux, son obsession pour les grands rassemblements, sa capacité de monopoliser les médias conventionnels quotidiennement et ses affirmations hyperboliques et souvent mensongères furent les moyens utilisés pour éliminer ses adversaires.

DURE CAMPAGNE

Toutefois, gagner l'élection contre Hillary Clinton fut plus compliqué. Parfois, le candidat Trump manquait de discipline et créait ses propres controverses. Ses performances lors des trois débats avec Mme Clinton nous démontraient un candidat mal préparé, indiscipliné et carrément agressant pour les téléspectateurs. De son côté, Mme Clinton possédait une profonde connaissance de ses dossiers et manifestait un aplomb digne d'une future présidente. Apparemment ce n'était pas suffisant.

Cela étant, il faut avouer que Mme Clinton avait aussi ses propres difficultés - l'utilisation d'un serveur privé pour ses courriels alors qu'elle était secrétaire d'État, ainsi que la proximité des donateurs à la Fondation Clinton et leur accès au pouvoir politique.

Par ailleurs, on doit se rappeler que Mme Clinton et M. Trump avaient les cotes les plus défavorables de l'histoire comme candidats en lice pour la Maison-Blanche. Chacun à sa manière représentait deux antipodes de l'échiquier politique : Mme Clinton, la continuité, et M. Trump, le changement.

Étant donné que la campagne a rapidement dégénéré à partir des conventions de l'été dernier avec des attaques personnelles, Clinton disant que Trump n'avait pas le tempérament et qu'il représentait un danger comme président, tandis que Trump la qualifiait de corrompue, le débat des politiques et des idées n'a pas joué un très grand rôle dans le déroulement.

Cependant, ce qui fut une constante durant toute cette campagne fut la grogne de la population envers les politiciens conventionnels, la colère envers Washington et l'insécurité économique d'un grand nombre parmi la population blanche, en partie de la classe moyenne et aussi grandement issue de la classe ouvrière et hors des grands centres urbains. Trump les a bien exploitées et il a su se présenter comme le seul porte-parole d'une population qui se sentait négligée et oubliée. Il a réussi à attirer de nouveaux électeurs enthousiastes et motivés.

Les analyses de la défaite de Mme Clinton se feront davantage dans les prochains jours et mois, mais on peut déjà conclure à ce stade-ci que Mme Clinton n'a pas réussi à pleinement mobiliser la coalition Obama - moins d'électeurs provenant des minorités (Afro-Américains, Latinos) et de milléniaux ont voté pour Clinton. Les premiers indices démontrent qu'elle a obtenu de 6 à 7 millions moins d'électeurs que le président Obama en 2012. Cela lui a coûté cher dans des bastions qualifiés de « mur » bleu (la couleur du Parti démocrate), comme la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin. Depuis au moins cinq élections consécutives, les candidats démocrates avaient remporté ces États et Mme Clinton menait à la veille du scrutin dans chacun de ceux-ci. Sa défaite ici représente donc la marge de la victoire de Trump.

L'élection est maintenant derrière nous. À quoi peut-on s'attendre d'ici à la prestation de serment du nouveau président le 20 janvier 2017 ?

Sera-t-il une continuation du « candidat » Trump, indiscipliné et provocant ? Ou allons-nous découvrir un nouveau personnage, plus présidentiel, plus posé, plus discipliné ?

Beaucoup doutent, avec raison, que Donald Trump puisse se métamorphoser.

Il faut reconnaître toutefois que le soir de sa victoire, Trump s'est montré magnanime envers son adversaire, et sa rencontre, jeudi dernier, avec le président Obama semblait démontrer un personnage plus sobre et prêt à collaborer à un transfert de pouvoir dans les meilleures traditions américaines. Espérons !

Le transfert de pouvoir sera un moment clé pour voir un « nouveau » Trump, car cela représente une dimension importante dans la culture et la conduite démocratique de ce pays. Le président sortant (Obama) et le président désigné (Trump) ont depuis nommé des équipes pour s'assurer que la transition est faite sans heurts.

Dans les prochaines semaines, le président désigné choisira ses proches conseillers et formera son éventuel cabinet. Tout ce processus culminera avec le discours inaugural le 20 janvier, où le nouveau président prêtera son serment d'office en présence du président sortant.

Le discours inaugural nous permettra d'entrevoir si le « candidat » Trump s'est véritablement transformé en une personne plus consciente de son nouveau rôle et de la nature de ses fonctions. Faire campagne pour se faire élire et gouverner le pays le plus puissant de la planète sont deux réalités différentes.

Depuis quelques jours, des manifestants anti-Trump ont choisi de nous rappeler le personnage du « candidat » Trump en le qualifiant de sexiste, raciste et xénophobe. De toute évidence, cela ne lui plaît pas, mais c'est la démocratie et une expression du premier amendement de la Constitution américaine !

Trump devra prendre acte du fait que certaines couches de la population ne veulent pas une continuation de son comportement durant la campagne et veulent un président digne de ce nom. S'il s'inspire d'un autre président républicain, Ronald Reagan, élu en 1980, qui fut controversé et préoccupant au départ, mais qui a gouverné en collaborant avec ses adversaires au Congrès, il pourrait surprendre. Si cela se produit, le « choc » de sa victoire se transformera en un « autre choc », nettement plus important et pertinent pour l'avenir de ce grand pays.